Nombre de messages : 350 Age : 32 Localisation : Ailleurs. Loisirs : Survivre. Humeur : Si ça t'intrigue. Date d'inscription : 01/04/2009 Syndel Vungh | Sujet: Peinture. [Libre] Dim 18 Nov 2012 - 13:47 | |
| Nature morte. ५Acrylique au couteau.
Se voir. Se reconnaître.
L'être pensant sait qui il est. Il sait qui est cette figure, qui erre devant le miroir. Il sait qu'il s'agit d'un reflet. Un reflet qui pointe du doigt ce qui ne va pas. L'image plus que le son. Regarde, vois ce que je vois. L'apparence disgracieuse. Les imperfections. Les ravages. Il ne bouge pas. Il est reflet. C'est une silhouette que l'être pensant connaît. Qu'il pourrait accueillir en son sein, sourire aux lèvres, amour à revendre. Mais silhouette fébrile, enfermée derrière la matière solide et réfléchissante, n'est pas amourachée. Avance. Sans regarder autour. Un pas cadencé, régulier. Et puis la croiser. Derrière son rideau de toi, sa façade vitrée. Tu veux la voir ou tu la fuis. Elle arrive, comme ça, parce qu'elle est là. Te force à la voir, attirance des pôles, logique traître. Elle te rattrape si tu t'enfuis. Elle est proche, très proche. Tu ne te doutes pas un seul instant d'à quel point elle est proche de toi. Sur ta peau. Contre toi, tout contre toi. Tu sais, au fond, que tu ne peux lutter. Pourquoi l'abandonner, elle qui est si résistante. Tu peux jurer de te venger. De l'arracher, de la martyriser, de la déformer, de la salir. Déverser ta haine sur elle. Ta haine de l'avoir à tes côtés. On peut aussi la voir comme une fatalité. On n'y peut rien et c'est ainsi. Juste comme ça. Rien d'autre à faire.
Son regard dans ton regard. Ses yeux, faibles, qui te dévisagent. Ils ne veulent partir, tu détournes le regard, reviens. Toujours là. À te scruter. À te mirer. Ne pars pas. Greffé au sol, les prunelles envahies par son image. Ses formes, ses couleurs. Fines, galbées. Les mêmes ombres. Les mêmes teintes. Camaïeu. Son visage harmonieux. Ses traits doux, creux. La peau tentatrice, laiteuse, albâtre. Lèvres de marbre. Légèrement rouges. La poudre qui recouvre la porcelaine. Les gravures impertinentes. Couleur neige. Pâle. Cils étirés. Écartelés. Les ongles qui griffent le pinceau. Tu es artisanale. Tu es oeuvre. Accessoire. On t'habille, te dévêtit. Les ombres sont nôtres. Le charbon autour des yeux. Les larmes khôl, chutent. Le long des joues squelettes. Les crocs ivoires. Les lèvres pincées comme des cordes. Le reflet qui choie parce que les pupilles glissent. L'eau coule. L'eau ruisselle, cascade sainte maîtrisée par la force des écrous, des vis et des tuyaux. Mains abandonnées l'accueillent en leur creux. Avaler. Les iris se redressent. La silhouette, toujours là, aborde des apparats horrifiques. Elle est affreuse. Affreuse.
Efface ça. Juste. Enlève. La. Tout de suite. Les cotons s'affolent. Le lait et l'eau mélangés. S'écrasent. Grattent l'épiderme. Retirent. Purge. L'oeuvre, à jeter. Ça ne va pas du tout. Elle doit être belle, l'autre. La silhouette. Toujours présentable. Les yeux de biche. Les lèvres pulpeuses. Le regard brillant. Les joues roses. Le nez fin. Bien coiffée. Bien habillée. Ne ressembler à rien. Ça la hante. C'est vicieux. Joue avec ses nerfs. De la beauté résulte le bon. Le bien. C'est comme ça qu'on les appelait. Les bienfaits. Les bien faits. Le hasard voulut qu'il naisse hideux. Chauve, le regard inexistant. Fenêtre sur cour était fenêtre sur vide. Le destin choisit de le récupérer, lui, plus beau que tout. Et pour cela, il lui fallut le rendre fou. Les lames qui déchirent. Le sang qui coule. L’hémorragie lacrymale, oubliée. Les stries de son corps nu mélangées au sel de leurs côtes méditerranéennes. Des épines plantées à même la chair. Le lait rouge. Les lèvres ouvertes. De nouvelles plaies. Faciès tuméfié. Cheveux arrachés. Rasoir cassé. Lames recyclées. Les paumes saignées. Le torse brûlant. La béante. La béante, logé sur son bas-ventre. Meurtrière. Elle laisse le fluide s'en aller, disparaître le long de la gorge de la baignoire. Avalée. La solitude qui achève. Strangulation sereine. Poignets raturés. Sa résistance n'est plus à prouver. Le corps est là. Allongé, posé. Calme. Tout est calme. La perte des sens. Le toucher. Les doigts ne peuvent sentir. Les sensations. L'eau bouillante anesthésie là où elle devrait immoler. Peau grattée de tant de rouge. Liquide. Gravé sous le derme, les vaisseaux éclatés. Les entailles. Les phalanges fatiguées. Les battements faibles. Puis l'énergie à vide. L'être pensant possède l'instinct de survie. Une puissance telle qu'il ne peut s'abandonner. Agir. Agir, de quelque façon que ce soit. L'instinct qui te pousse à finir ce que tu as commencé. À continuer ce que tu veux poursuivre. Clore. Les jambes ouvertes, les genoux à l'agonie, tiennent à le supporter. Le font refaire surface. Sortir du rouge. Avancer. Le rouge, partout. L'eau, filtrée, qui passe la porte fermée. S'immisce dans la pièce à côté. La soutenue, la serre, qui agrippe le rebord avec flegme. Le regard, absent, scrute la porte. Puis l'évier. Puis au-dessus.
Et croise la silhouette.
Une oeuvre réussie. Une oeuvre parfaite. Lui. Pas toi. Vulgaire, plagiat. Simple inspiration. Ratée. Une toile ratée.
Le couteau passé, les taillades sont propres, agiles, droites. Splendides. Les couleurs, elles restent les mêmes, pas la peine d'en changer. Monochrome. Harmonie. On dirait qu'il te regarde, mais il ne te regarde pas. Comme à en juger au teint de celle d'à côté, chapeau large et lunettes de soleil à l'intérieur. On jurerait qu'elle communiquait avec la silhouette, mais c'était faux. Quand on parle avec quelqu'un on fait l'effort de penser à lui, a minima. On ne bavasse pas avec un autre pendant ce temps. On écoute. On est attentifs. On se regarde. On prend le temps d'observer les blessures. Les coups reçus. Les marques. On voit si les poignets sont abîmés. Si le visage est balafré. On mire. On admire. Et une fois que l'on a fini, on fait volte face. On entame un pas. Deux. On s'éloigne. On regarde ailleurs. On avance. Puis le regard se pose ailleurs. On va pour mirer. Et on tombe sur soi.
Noir et blanc. Une photo, grand format. Très grand format. À côté de l'aquarelle, de la gouache et de la terre modelée. Véridique, l'absente se fond dans le mur. Entrave les autres travaux par sa prestance déconcertante. L'absente, c'est son nom, est bel et bien là. Assise dans un fauteuil qu'on devine rouge. Ancien. Tombe en ruines. Pas seulement lui. Assise, dans son fauteuil, près de la fenêtre. La lumière l'inonde, et recouvre aussi les murs, fissurés. Un miroir, dans son dos. Le jour qui se colle à sa peau de nacre. Ses iris émeraude qui fixe un point invisible, derrière la fenêtre d'en face. De trois quart. Tout à droite. Sa robe froissée entre ses mains. La bouche peinte en rouge. Les cheveux attachés, négligés. Les escarpins hauts. Très clair. Spacieux, dans un tout petit environnement. Sensation de profondeur grâce au reflet dans la glace. Pas joyeux. Pas triste. Elle s'enfuit par les yeux. Elle ne se voit pas. Elle ne s'est jamais vu comme ça. Belle. Oeuvre. Jusqu'à aujourd'hui.
Model: Mademoiselle Syndel Vungh. C'était bien ça. Pas d'erreur. L'absente, c'était elle.
Il avait gagné en notoriété, et avait voulu tenir exposition ici-même. Le nouveau pays de l'absente. Il avait choisi Leasure. Pas par hasard. La ville de l'absente. Elle savait. Elle l'avait vu. Elle était venue. Pas tant le voir. Plutôt se voir. Avant. Se retrouver. Se reconnaître. Il avait un talent fou pour créer. Ses doigts sur l'appareil étaient guidés par la main des Muses. Il avait du goût. Savait marier les couleurs comme personne. Et d'après lui, elle prenait bien la lumière. Sans doute pour cela qu'il l'aimait tant. Elle prenait la lumière. Elle avait beaucoup changé. On ignorait qui elle était. Le photographe, qui était venu la saluer, ne l'avait pas reconnue.
Elle avait beaucoup changé.
Une place libre. Un siège, peu confortable, suffisant. Un verre de vin à la main. À observer. À scruter. Ses yeux fardés d'un noir intense, l'ensemble du minois poudré, l'encre noire sur les paupières, au coin de l'oeil, les lèvres rouges. Le pull lourd, noir. Le jean slim, gris. Les talons hauts, rouges. Le serre-tête sanguin. Et un verre de vin.
|
|