Rien de trop bizarre ces temps-ci, juste une migraine du feu de Dieu dont Virgile ne pouvait plus. Il avait beau vider les boîtes de cachets, se droguer plus que d'ordinaire, il n'y avait vraiment rien à faire: le mal était encré en lui et ne partirait qu'après avoir fait son petit bonhomme de chemin en lui. Ça faisait quelques jours qu'il ratait délibérément certains cours, et pendant les rares heures qui obtenaient ses grâces, si on peut appeler ça des grâces, il dormait. Une vie palpitante.
Des gens passaient sans se retourner vers lui. Il y avait le plein soleil malgré un léger vent qui faisait courir les autres vers l'intérieur. Ceux qui étaient encore sensibles au froid en quelques sortes, bien que les manteaux qu'on pouvait trouver en ville étaient très efficaces contre n'importe quoi, avec ce climat particulier. Les gens ne se poussaient pas à la porte, ils étaient à la limite de la révérence, au contraire, et ça le surprenait beaucoup, tant et si bien il pouvait être surpris. Le visage clos et le regard perdu en direction du mur et plus particulièrement des quelques casiers qui traînaient, allez savoir pourquoi, il regardait ces gens s'abriter et discuter plutôt calmement. Quelques rires mais rien de notable, et finalement un ennui mortel contre lequel il ne luttait plus.
Virgile avait oublié qu'il avait cours, et pas n'importe lequel: sport. Déteste le sport, ça sert pas à grand-chose, et puis de toutes façons il est toujours arrêté. Des dispenses qui s'accumulent par milliers mais c'est normal. Et puis il en profitait pour dormir. Il portait une veste longue, aux manches longues, aux décorations longues et au col relevé. Ça lui donnait des airs de détective privé, ne manquait plus que le béret, la pipe et la loupe et il était bon pour Londres. Tout ça parce qu'il avait eu envie de dormir au soleil, pour une fois. Les intérieurs étaient frais, et puis il y avait toujours quelqu'un pour courir dans le couloir et le réveiller. L'extérieur, avec sa brise désagréablement froide et ses miraculeux rayons solaires, lui aurait convenu parfaitement, ainsi vêtu. Sauf que le professeur de sport lui avait demandé de venir en cours. Aider, paraît-il. Si c'était pour courir derrière les ballons perdus, ça n'allait pas le faire. Mais bon, ça s'appelait la loi des séries.

Le terrain de sport n'était pas si loin que ça, il suffisait de descendre les escaliers, sortir, prendre la première parcelle de terre et la traverser, puis descendre le long du sentier balisé pour tomber pile devant l'entrée. À pieds, à peu près dix minutes suffisaient à parcourir l'intégralité du tracé. Mais il s'agissait là d'une vitesse normale, pas de celle d'un Virgile ensuqué et fatigué. À la limite de se traîner sur le sol, c'est avec grande peine qu'il parvint finalement à se redresser du fauteuil dans lequel il s'était abandonné, dans un coin du hall, et qu'il ouvrit les lourdes portes pour tomber sur la cour.
Et heureusement que le chemin était en pente, sinon il y serait toujours.

Arrivé en retard, on le menace d'une ou deux heures de colle mais il n'y répond pas. Peut-être sera-t-il collé, peut-être pas, il le saura sans doute un jour. Mais pour la peine, il prit place dans les gradins du terrain de sport et se mit simplement à regarder les autres bouger. Même plus la force de reconnaître le sport dont il s'agissait, peut-être y en avait-il plusieurs, des différents, d'ailleurs. Il regardait ses ongles bleus, très légèrement écaillés alors que le vernis datait du matin-même. Duuuuuuur.
Il y avait les ballons qui tapaient contre le sol en caoutchouc et qui faisaient du bruit, et le bruit était insupportable. Le bruit des chaussures, tout ça, ça lui sortait par les yeux et ça explosait le crâne. Il avait toujours aussi mal, Virgile, ça s'arrangeait pas. Il était au troisième rang, il voyait tout le monde, et le prof lui avait dit de rester à portée, ce qu'il faisait. Voilà. Il était là, la tête dans les mains, et il s'endormait pour oublier la douleur. Presque trop beau pour être vrai, dis.

PAF.
Et bascule en arrière, et tombe du gradin, s'étale sur se sol. Et un ballon dans la gueule, un.

- Uh... Mais qu'est-c'que j'ai faiiiit...?

Voilà qui n'allait certainement pas arranger son état de santé. Tant pis, au moins, il avait à peu près les idées en place comme ça, rien de tel qu'un méchant coup en plein dans le nez pour rééquilibrer les cerveaux un peu trop évasifs. Rien de mieux non plus pour se péter le nez. On avait relevé Virgile sans lui demander son avis, sans doute que sa main traînait dans les parages et que c'était normal, question de politesse. C'était pas lui qui dirait le contraire remarque, juste qu'il s'agit là d'un geste assez commun, rien de remarquable qui prouvait la bonne foi de l'auteur de ce crime dont tout le monde se foutait éperdument. La personne responsable n'avait pas fait exprès, sinon elle serait venue lui casser la gueule au lieu de l'aider à se relever. C'est idiot, mais c'est vrai. Au moins, il pouvait se dire qu'il n'avait plus rien à craindre.
Il s'agissait... d'une... fille..? Ouais, à peu près. Une sorte de chose mi-femme mi-homme, pas glamour pour deux sous et habillée comme un vulgaire bonhomme, pire que Virgile avant qu'il ne devienne un Selah pour de bon. Cheveux plus ou moins courts, poitrine inexistante, cette créature était une devinette ambulante, mais c'était pas important. Elle le fit s'asseoir, Virgile lui se laissa faire, ne se poussant même pas à partir du sol pour l'aider. Un poids-mort à soulever, pour la peine. Il y voyait flou, mais ce n'était pas grave, il allait s'en remettre. Puis elle s'assit à son tour, et passa une main sur son manteau, puis dans ses cheveux. Le plus naturellement du monde.

Beaucoup l'aurait chassé, insulté, pourri, mais Virgile n'était pas comme ça. Pas par bonté, mais simplement parce qu'il n'en avait rien à faire du tout. Elle pouvait bien le toucher, qu'est-ce que ça allait lui faire après s'être mangé une balle en plastique et en tissu propulsée à plusieurs kilomètres/heures dans la face? Rien de plus méchant, à n'en pas douter. Il ne souriait pas, il n'y avait pas de quoi, mais il ne pleurait pas non plus. Une larme à l'oeil tout de même, ça ne faisait pas du bien, mais c'était un réflexe, le corps qui prend le dessus. Il n'était pas triste, tout va bien même, il n'était pas mort. Ça allait juste passer.
Une de ses mains se porta sur l'objet de toute son attention: son nez. À peine l'eut-il frôlé qu'une désagréable sensation vint s'en emparer. Il était peut-être cassé, tous comptes faits. Du moins salement amoché. Il renifla, réflexe humain bien qu'il n'en était pas un, et se détruisit les parois nasales d'une façon tout à fait débile. Il ne reniflait pas de mucosité, mais du sang.

La jeune fille lui demanda si ça allait, il répondit par un hochement de tête tellement imprécis qu'il était impossible de savoir ce qu'il voulait dire. Lui le savait et c'était suffisant à son goût. Par correction elle ajoute qu'elle peut l'aider s'il a besoin de quelque chose. Virgile ne savait pas ce dont il avait besoin. Peut-être d'un mouchoir, mais c'était facultatif, il savait se faire violence et se moucher dans sa manche. C'était ce qu'il faisait avant. Et ce matin, il avait oublié son mouchoir en tissu sur la table basse de sa chambre. Pas de chance.
Il ne savait pas trop quoi répondre, mais son silence était peu éloquent, surtout avec une figure aussi expressive que la sienne. Dans une moue qui tenait plus de la gêne que de n'importe quoi d'autre, il jeta un oeil à ses vêtements, pour la plupart neufs, et pour la totalité hors de prix. Un soupire, rien de plus. Il ne la regardait même pas.

- Cette chemise était neuve, tant pis. Heureusement que je n'ai pas mis ma broche ce matin. Je l'ai oublié.

Virgile lève finalement les yeux vers son vis-à-vis, un air de rien sur la visage, assez perturbant d'ailleurs. Il regarde le terrain, revient vers elle, passe sa manche sur son nez, se fait mal tout seul de nouveau. Comme quoi on n'apprend pas toujours de ses erreurs passées.

- Un mouchoir serait sans doute utile, mais je peux m'en passer. Par contre, il me semble nécessaire de me faire ausculter, le coup n'a pas été délicat.

Les joies du sport qu'il ne connaissait pas.

- Joli tir. Je ne suis pas un but, mais joli tir quand même. Tu ne peux que progresser.