Nous étions rapidement arrivés dans les chambres, et Dieu merci, nous étions arrivés sans que personne ne soit réveiller ou ne sorte de sa chambre. Ce n'est pas que je me souciais de ce que pouvait penser les gens dans une situation pareille, mais je n'avais pas envie qu'on me voit dans ces locaux, alors que je n'avais rien à y faire, à la base.

Les clés avaient été inserées dans la serrure et la porte avait légèrement grincé. Pas assez cependant, pour réveiller quelqu'un qui dort, même dans la chambre à côté. Les murs étaient épais et le sommeil des surveillants étaient profonds. Nous étions dans un ancien château après tout : rien à voir avec les murs fins que l'on voyait aujourd'hui dans n'importe quelle bâtisse. Sauf certaines petites retouches nécessaires, l'établissement était encore d'époque.

Je pénétrais dans la chambre en devançant l'ange. Elle était grande, et peut-être qu'elle me paraissait plus spacieuse que les chambres que nous avions. En fait, les nôtres devaient avoir approximativement la même taille - peut-être étaient-elles même un peu plus grandes - mais je ne pouvais le voir, tout cela parce qu'il avait la chambre pour lui tout seul, alors que moi j'avais deux colocataires.
Je ne savais d'ailleurs pas ce qui était le plus plaisant : parfois être seul devait être une bonne chose, cependant, j'étais davantage une fille qui aimait être entourée et accompagnée. Je préférais donc avoir affaire à des colocataires tout à fait sympathiques, et m'éloigner ou sortir lorsque je ressentais le besoin de m'isoler.
J'espérais cependant que la chambre était du goût du nouveau surveillant, et qu'il n'allait pas se sentir trop dépayser. Après tout, en moins d'une heure, il s'était vu offrir une chambre, un poste, mais également une nouvelle identité à laquelle il avait sans doute encore du mal à croire. C'était la raison, d'ailleurs, pour laquelle je l'avais accompagné jusqu'ici.

Après un coup d'œil plus ou moins expert avec lequel j'avais observé les lieux, je m'étais tournée vers lui. Mais n'avais-je même pas eu le temps d'ouvrir la bouche, qu'il était déjà en train de s'exprimer : un remerciement.
Vraiment, il n'y avait pas de quoi. Il me donnait l'impression d'avoir fait quelque chose d'extraordinaire, alors que j'avais simplement eu le bon sens de ne pas le laisser - comme il était inconnu des lieux - dans la misère dans laquelle il m'avait semblé être. Je ne l'avais jamais vu auparavant et j'avais tout de suite compris que c'était la première fois qu'il débarquait ici. De plus, j'avais ensuite déduit que son passage ici n'était pas vraiment dû à un acte prémédité : les arrivants venaient rarement la nuit. Il était plus commun de les voir débarquer le jour, escorter par des taxis jusqu'à l'entrée et ensuite conduit par des personnes aptes à leur faire une visite correcte des lieux.
Il ne s'agissait donc en aucun cas d'une arrivée que l'on pourrait qualifier de " commune ".

J'esquissais un sourire.

" Mais vraiment, tu n'as pas de compte à me rendre. J'ai fait ça par bon sens : je passais par là et j'avais bien conscience que tu n'étais pas un habitué des lieux. Tout le monde aurait fait pareil à ma place. Il n'y a pas de quoi me remercier, je t'assure ! "

J'étais un peu embarrassée par ses remerciements. Évidemment, c'était quelque chose de particulièrement flatteur que de recevoir des " mercis " de quelqu'un, mais je n'étais pas habituée à une telle obstination. En fait, je n'avais pas l'habitude d'être au centre de l'attention, en quelque sorte. Je faisais souvent tout pour être un peu comme le second rôle, ou pour m'effacer légèrement. Je me plaisais à passer dans la lumière de temps à autre, mais je me refusais de la monopoliser. D'ailleurs, je m'en savais parfaitement incapable. Je n'étais pas de ce caractère-là.

Il était resté sur le pas de la porte. Même si celle-ci était close maintenant, c'était à peine s'il avait bougé du tapis qui faisait office d'entrée. Un petit tapis qui servait sans doute à s'essuyer un peu les pieds les jours de mauvais temps.

" Mais rentre Angel, tu es chez toi maintenant ! Tu ne vas pas rester là sur le pas de la porte ! "

Moi-même, je ne tardais pas à m'asseoir sur le lit. Confortable. Mou. De grosses couvertures qui renforçaient un peu l'aspect " chambre d'antan ". Des détails que je ne pouvais qu'apprécier. Cette ambiance un peu ancienne me plaisait beaucoup à vrai dire, mais je ne savais pas s'il en était de même de mon actuel camarade de discussion.

Je l'invitais d'un geste de la main à me rejoindre. Tape de la main sur la grosse couverture.

" Allez viens. Je suis sûre que tu as encore plein de choses à me demander. Il reste bien quelques heures avant que les cours ne reprennent ! "

Je n'étais pas pressée. Mais je n'étais pas fatiguée non plus. Peu m'importait de dormir ou non cette nuit. Ce ne serait pas la première fois que je passerai des jours sans fermer l'œil. Cela me rappelait certains mauvais souvenirs, mais qu'importe.
Depuis que j'avais été mordue, il me semblait que j'avais davantage d'endurance dans le domaine du sommeil : il me fallait moins d'heure de repos pour être en forme. Je pouvais passer deux journées sans dormir et sans en ressentir les effets, parfois. Mais cela, ce n'était qu'un petit détail.

[ Arf, je suis désolée >__< !! ]

Il regardait autour de lui avec ce grand sourire ravi que j'avais moi aussi déjà abordé. Je me souviens des regards que j'avais lancé tout autour de moi, des mille et une choses que j'avais vues, mais également de celles que je n'avais alors pas encore découvertes. Dès le premier coup d'œil. Il y avait tellement à voir. Tellement à connaître. Tellement à découvrir, et redécouvrir, en fait.
J'avais été émerveillée dès les premiers pas sur la pierre froide. Dès les premiers coups d'œil dans le parc. Enchantée. Je trouvais dans ce lieu loin de tout un monde que je trouvais idyllique. J'étais heureuse, ici.

En fait, son arrivée me rappelait la mienne. Plus que les autres arrivées que j'avais pu voir. Seulement je ne savais pas pourquoi.
Était-ce parce que je l'avais trouvé perdu dans cet immense couloir, comme on était venu me trouver moi ? Je ne sais pas. Il n'y avait rien de commun entre nos deux commencements. Il était venu en pleine nuit, par le plus grand des hasards, ignorant tout de son identité. Moi j'étais arrivée en plein jour, mon entrée dans l'établissement avait été longuement préméditée, je savais terriblement bien ce que j'étais et de quoi j'étais capable. De plus, j'avais rapidement été entourée d'une foule de gens qui cherchaient à savoir qui j'étais et tout un tas de détails plus ou moins personnels de mon histoire. Moi, j'espérais ne pas avoir été excessivement curieuse avec l'ange. J'espérais que même si j'avais été son unique accueil, il garderait une bonne première impression de son arrivée ici.
On pouvait difficilement faire plus fort, en fait. Apprendre tellement sur soi et son destin en si peu de temps, c'était vraiment .. incroyable, quand on y repensait calmement, quelques secondes.

Il était assis juste à côté de moi. La couverture faisait de drôles d'ondulations. Elle était bouffante de certains côtés et plus aplatie d'autres. La matière douce coulait presque sous mes doigts aussi pâles que pouvait l'être la mort personnifiée.
Sa voix douce résonnait sans violence sur les vieux murs de la chambre qui était maintenant la sienne. Moi je l'écoutais, un peu dans la lune. Une sorte de transe agréable. J'avais pleinement conscience de tout ce qu'il se passait autour de moi, et en même temps, j'étais un peu partie dans mes rêveries. Des rêves stupides qui n'avaient ni queue ni tête.

" Les amis hein. Je ne sais pas si on peut dire que j'en ai beaucoup. J'en ai quelques-uns. Mais je suis bien loin de connaître tout le monde ici .. "

Je baissais les yeux vers mes doigts. Ils étaient un peu crispés sur la couverture. Je ne savais même pas pourquoi. Je souriais.
Mes meilleures amies étaient une démone au fort caractère et une petite vampire effacée. Je connaissais l'ange aux cheveux roux, puis Angel maintenant. J'avais eu écho de quelques loups-garous comme l'était mon propre professeur d'histoire. Je fréquentais plus ou moins un autre démon - bien moins fréquentable, d'ailleurs, semblait-il. Un des surveillants était un magicien. J'avais vu quelques sorcières se lancer des sorts dans le parc. Des humains j'en voyais tous les jours dans les rues, quand je sortais.

" Principalement des vampires et des démons en fait. Enfin. Une vampire et une démone. "

Je n'avais pas beaucoup d'amis. J'avais Hebi et Izumi, en fait. Puis il y avait des gens qui comptaient pour moi, certes. Mais je n'étais pas certaine de compter plus que cela pour eux. Je trouvais une âme charitable dans le corps de Kyle ; le professeur d'espagnol était un personnage qui me donnait l'envie de sourire. Puis il y avait ce démon .. Cet être dont je devais sans doute me méfier. Mais je ne pouvais décidément m'y résoudre. Il y avait quelque chose chez lui qui m'attirait. Rien que d'y penser, un frisson me parcourait imperceptiblement le corps.
Mes pensées retournèrent vers Angel, et rien que vers lui. J'étais ici pour répondre à ses questions et l'aider au mieux.

" Toi, tu vas rapidement te faire des connaissances .. Les surveillants déjà. Puis les professeurs et les autres membres du personnel, aussi, rapidement. Je ne m'inquiète pas. Et puis tu verras .. Les élèves sont sympathiques pour la plupart. Ils ont du respect. Ne t'inquiète pas pour ton autorité. "

Je riais légèrement. Ses inquiétudes m'amusaient. Nous n'étions pas dans un asile de fous et après tout, nous étions des gens bien éduqués. Seulement un peu différents : c'était là notre seule distinction.

Je ne doutais pas du fait qu'il allait rapidement s'intégrer. Tout le monde s'intégrait plus ou moins vite de toute manière. Même les gens qui n'étaient pas vraiment d'une sociabilité remarquable. On trouvait toujours quelqu'un avec qui l'on avait plus d'affinités qu'avec les autres. Quelqu'un à qui l'on avait envie de dire plus de choses. Ou encore quelqu'un avec qui - on ne pouvait l'expliquer - on se sentait sans doute un peu mieux.
Il ne me venait pas une seule seconde à l'esprit qu'Angel ne trouve pas une personne comme cela ici. Ce château était un endroit reculé et isolé, certes. Mais il regroupait tellement de gens qui étaient à la fois si identiques et si différents, qu'il ne pouvait que trouver une oreille attentive qui saurait l'écouter.

J'en apprenais un peu plus sur lui à chaque fois qu'il ouvrait la bouche. Je ne savais pas si c'était volontaire ou non, mais il m'avait l'air de se confier plutôt facilement. Je songeais que c'était sans doute parce qu'il était en confiance, et parce que je l'avais épaulé comme je pouvais dans la quête de sa véritable identité. Mais ce n'était qu'une supposition.

On sentait une certaine appréhension de sa voix. C'était presque quelque chose de palpable. De matériel.
Il avait sans aucune doute une capacité - peut-être un défaut - qui était de montrer rapidement et d'une façon très visible les sentiments qui l'envahissaient.

Il disait n'être pas très patient. Mais il n'avait pas la moindre inquiétude à se faire. Je ne tenais pas par là à dire que nous étions des élèves plus disciplinés que dans les autres établissements ; ceux qui étaient plus normaux. Non, je ne pouvais pas insinuer cela. Je venais du milieu humain avant de devenir ce que j'étais à présent et je pouvais dire que ce n'était pas comparable. Être surveillant dans un lycée ou être surveillant dans cet endroit étaient deux choses qui étaient presque diamétralement opposées. Les choses que l'on avait à faire étaient tellement différentes .. Il s'en rendrait bien vite compte par lui-même. Il fallait après tout lui laisser ce privilège : découvrir tout seul ce qu'il allait faire, maintenant.

Je souriais. Un sourire un peu lointain. Déconnecté.

Il n'était apparemment pas à court de questions. Il enchaînait. Étrangement, les questions ne me semblaient pas tellement sur l'établissement, ses fonctions, ce qui allait l'entourer. Il se posait plus de questions sur moi et les chamboulements qui avaient été apportés à ma vie, d'après ce que je pouvais constater. Bah. Cela ne me dérangeait pas. S'il voulait savoir, j'allais lui dire ce qu'il voulait savoir. Je n'avais pas de gros secrets de ma vie .. Du moins, je voulais le croire.

Une pensée qui dévie. Puis je réponds. Mettre mes idées au clair.

" Non, je n'en ai pas. A vrai dire, ce n'est pas vraiment ma priorité. "

J'avais envie de me clarifier. Pourquoi ? Aucune idée. Je ressentais le besoin de le faire. Comme si c'était un devoir ou je ne sais quelle autre bêtise. Que je me justifie d'un acte aussi stupide. L'amour était loin d'être une priorité dans ma vie, maintenant. Avant d'être mordue, j'y pensais comme n'importe quelle fille de mon âge. J'avais des rêves, des désirs. Des banalités qui me paraissaient maintenant bien superflues.
Le jour où j'avais senti mon propre sang couler en abondance sur ma chemise, où j'avais entendu le liquide couler dans cette gorge, j'avais alors compris quels étaient les priorités dans ma vie. Au diable les futilités, j'avais vu nettement ma vie défiler devant mes yeux. Je m'étais sentie mourir avant de revivre sous un jour maudit. Est-ce que l'amour valait encore quelque chose là-dedans ? Pour l'instant, j'en doutais fort. Tous les jours j'apprenais davantage à m'apprivoiser et à dompter mes envies les plus fortes. Là était ma véritable priorité.

" J'ai du laisser ma vie derrière moi en devenant une vampire. Je ne l'ai pas fait par plaisir, mais c'était un sacrifice nécessaire. "

Je me tournais vers Angel. Mes yeux plongeaient dans les siens.

" .. J'ai mis énormément de temps avant de réaliser que venir ici serait la meilleure des choses pour moi. J'ai mis à accepter cette proposition. En devenant quelqu'un d'autre, on laisse tomber l'égoïsme. Si je suis ici aujourd'hui, c'est principalement parce que je voulais protéger mes proches. Plus secondairement, pour tenter de vivre encore une vie à peu près normale. "

Je me retourne et fixe la fenêtre. Je parle beaucoup, hm. Stoppons.

" J'ai passé une sorte de deal avec l'enfer. Ou je ne sais trop quoi. Ce n'était pas volontaire, mais maintenant je m'en tiens aux conditions qui ont été fixées. Si je peux dire ça comme ça. "

Sourire en coin. C'est quoi, dans mes yeux ? Mélancolie ? Nostalgie ? Pitié peut-être ? Puis. A quoi ça sert de savoir ces choses-là ? Je ne fais que réponse à de simples questions. Pas la peine d'en faire un plat.

Il avait l'air sincèrement désolé pour moi. Pour ce qui était arrivé. Il n'avait jamais été dans mon intention de raconter mes malheurs, ou de me faire plaindre. Je n'étais pas de ce genre là. Je n'aimais pas avoir la pitié des autres : tout du moins, je ne me connaissais pas de la sorte. Mais j'avais répondu et je répondrai encore aux questions qu'il me posait, parce que j'étais ici pour cette raison, d'un certain côté.

J'en étais arrivée - plus ou moins par concours de circonstance et enchainement d'une série de question - à lui raconter cet épisode sombre de ma vie. La plaie n'était pas refermée. Elle était là, toujours fumante dans ma poitrine. Une douleur traîtresse. Écorchée vive. J'avais été coupée dans mon élan. J'avais été en train de créer ma vie, et l'on m'avait coupé l'herbe sous le pied sans même que je ne m'en sois rendue compte. J'avais été naïve. Je l'étais toujours.

Le regard perdu quelque part près de cette pleine lune - on la voyait bien au travers de la fenêtre - je me remémorais le temps que j'avais mis à accepter une telle situation.
De la jeune fille souriante et toujours entourée, plutôt bien dans sa peau, j'étais passée à l'état de monstre. Un état dépressif, profondément maladif. J'étais restée des semaines, des mois cloîtrée dans une chambre dont je n'osais même plus ouvrir les volets.
Depuis mon rapatriement en France, je n'avais plus quitté ma chambre. Je n'avais plus vu que les médecins anglais qui me disaient que tout allait bien aller. Mais rien n'allait plus. Je n'étais plus ce que j'avais encore été la nuit avant le drame. Je n'étais plus moi-même. Je n'étais même plus l'ombre de ce que j'avais construit. En me regardant dans une glace, je ne voyais qu'un reflet trop pâle. Une sale copie. Un mauvais film.
J'avais refusé de me nourrir. J'avais passé des jours en ne m'abreuvant que d'eau. Cela ne me nourrissait pas, mais je me permettais ainsi de survivre. Comme je le faisais toujours un peu à présent ; de moins en moins cependant. Il fallait que je m'autorise à vivre, même comme j'étais maintenant.

J'étais devenue maigre, mes côtes étaient visibles, mon visage était creusé. Mes yeux étaient sans lueur, contournés d'horribles cernes violettes. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus, je ne voyais plus personne. Mes liens avec le monde extérieur avaient été brisés en l'espace de quelques secondes à peine. Ma famille cependant m'avait soutenu. Et au travers de ce soutien, j'avais finalement trouvé la force d'être moins égoïste et de penser à leur bonheur et leur quiétude avant de penser uniquement à moi. C'est comme ça que j'avais finalement atterri ici. Un peu par dépit. Puis secrètement, en pesant bien le pour et le contre, je m'étais dit que c'était l'occasion de faire démarrer une nouvelle vie. Une vie peut-être éloignée des soucis. J'avais toujours été pleinement consciente que dans cet endroit, je ne serai pas considérer comme un monstre, mais pour celle que j'étais.

Maintenant, cet endroit était ma deuxième maison. Pendant longtemps encore. Je me sentais à l'aise. En sécurité. Ma famille et mes amis aussi pouvaient être dans le même état d'esprit. Bien que la seconde partie ignorait tout de ce que j'étais devenue. Mais ils n'avaient jamais cherché à le savoir. Jamais ne m'étais arrivé aucun courrier que ma famille m'aurait transmis de leur part. Rien.
Je me rendais compte chaque jour que les amitiés que je tissais ici étaient bien plus saines et plus profondes que les amitiés que j'avais eu jusqu'à présent dans mon précédent univers : celui de l'humaine.

Angel s'excusait, mais il n'y avait pas de mal. Ma nostalgie semblait m'emporter un peu, pourtant, et je laissais sa main glisser sur mon épaule, tout en gardant le silence. Mes yeux ne pouvait quitter la pâleur de la lune, qui me rappelait un peu celle de ma propre peau. Pâle comme la mort, m'avait-on dit. On ne savait pas à quel point cette expression pouvait s'avérer véridique.

Tapotements. Caresses rassurantes. Cette nouvelle rencontre était une bonne rencontre. Ce soir, je crois que je bénissais un peu mon insomnie. J'étais contente - au fond de moi - d'avoir descendu les escaliers deux par deux et d'avoir croisé cet homme, cet ange au détour d'un couloir. L'air perdu. Sympathique. Abasourdi d'abord par la découverte de son identité véritable si bien dissimulée. Curieux ensuite.
Je m'étais proclamée toute seule le vieux grimoire qui pourrait peut-être répondre à toutes les interrogations qui allaient se dresser devant lui. J'avais endossé ce rôle : je n'avais pas songé cependant que cela mènerait à des révélations sur ma vie, sur mon passé.

Puis : qu'importe.

Sa proposition était amusante, parce que je pensais que c'était lui qui avait le plus besoin de retrouver une vie à peu près normale maintenant. Il était dans un univers inconnu et méconnaissait les différences qu'il y avait avec le monde qu'il avait toujours connu. Il ne savait pas non plus comment était les autres, mais il semblait ne pas s'en soucier et à cet instant se préoccuper davantage de ma petite personne. Égoïsme de ma part de continuer à discuter ? Ne sais pas. Ce type était vraiment né pour finir ses jours comme un ange. Se souciant davantage du malheur des autres que de sa propre détresse.

" Je serais heureuse que tu continue à agir dans ma vie, Angel. "

Cette soirée n'avait pas été orchestrée par le hasard. Le hasard n'était pas de ce genre-là. Moi je croyais plus ou moins au destin et à sa pleine influence qui avait - pour moi - clairement été démontrée ce soir-même.

" .. De même, tu pourras compter sur moi, à l'avenir. Tu sais où me trouver. Je ne suis jamais très loin. Un peu comme ce soir .. "

Je me retourne et affiche cette fois un vrai sourire. Va-t-en tristesse. Tu n'es pas la bienvenue. Pas ce soir, du moins.

Ma réponse eu l'air de le satisfaire. Il posa un baiser sur ma joue. Ce contact me parut étrange, au début. Parce que depuis que j'étais arrivée ici, si j'avais eu du contact, c'était davantage verbalement que gestuellement parlant. Je m'étais habituée maintenant à dire ce que je pouvais ressentir ou encore comment je me sentais et ce que j'avais envie de transmettre par le biais de mots alors savamment choisis. Ce n'était pas le cas de cet ange apparemment. Il avait du avoir une ancienne vie très complice avec les gens qui l'entouraient. Sans doute un peu comme moi à l'époque.
Ces gestes ne pouvaient s'éteindre complètement, cependant ici, je tâchais de les dissimuler. Je n'étais pas le genre de personne qui recherchait absolument le contact, mais une étreinte avec un proche ou la sensation d'une main sur une épaule me manquait parfois un peu.
Ce n'était pourtant que dans les moments où je me mettais à penser sérieusement à ma vie d'avant. Ce n'était pas tellement fréquent ; ou plutôt de moins en moins. Je prenais de plus en plus conscience que ma nouvelle vie, c'était de chasser, de vivre au dépend du sang d'autrui et toujours en souhaitant plus ou moins réfréner mes envies. Voilà ma nouvelle vie.

Ce geste pouvait peut-être pour certaines sembler déplacé. Il pouvait peut-être faire penser à une certaine ambiguïté. Moi je ne me posais pas de question. C'était un remerciement comme un autre. Un contact qui ne pouvait pas faire de mal. Une douceur transmise autrement que par des mots. Cela changeait un peu de l'habitude certes. Ce n'était pas là quelque chose de gênant.

Je me disais simplement dans un coin de ma tête qu'il ne faudrait pas que ce genre de gestes se reproduise en public. Les gens se faisaient très vite une opinion sur les autres, comme partout ailleurs. De plus l'ambiguïté omniprésente pouvaient inciter certaines personnes à adresser des remarques déplaisantes à notre cher ange. Cela pourrait le mener au-delà de certains ennuis. Et je n'avais aucune envie que les choses se passent ainsi pour lui.
Il était un peu comme mon poulain ; même s'il était étrange de dire cela, alors qu'il est plus âgé et peut-être plus expérimenté dans le domaine de la vie que moi. Mais ici, j'avais été son guide, et il était maintenant comme un protégé que je devais mener au devant d'une vie saine et paisible dans ce même établissement. Même ! Dans ce monde dont il ne connaissait même pas encore totalement les grandes lignes ! Il était un inconnu dans un monde qui était pourtant le sien. Et il était un peu de mon devoir de le conduire pour qu'il arrive sans embuches à trouver pleinement sa place.

Il se lève du lit, et cela attire mon attention. Coupe toute ma pensée.
Il accroche soigneusement son manteau. Maniaque de la propreté et de l'ordre ? Je ne sais pas. En tout cas, il n'aime apparemment pas le désordre apparent. Soit.
Il se couche sur le lit. Dans sa largeur. Ses jambes pendent sur le bord du lit. Ses pieds touchent presque le sol. Évidemment, il est plus grand que la largeur du lit. Mais je ne retourne même pas. Il observe surement mon dos. Ou peut-être que son regard s'est perdu dans la contemplation de la lune pleine au travers des carreaux.
Je sais que s'il a encore des questions à me poser - je n'en doute pas - il n'hésitera pas un instant à me poser les questions sur lesquelles il s'interroge. D'ailleurs, une nouvelle question ne tarde pas.

Me suis-je déjà fait attaquer ? Il en a des questions. Je me dis que jamais je n'aurai eu l'audace de poser une question comme celle-là. En fait la moitié de celles qu'il a posé ne me seraient pas venues en tête. Je me disais qu'il avait une imagination fertile. Enfin.

Des mauvaises rencontres, j'en avais certainement faites. Cependant, je ne m'en rendais pas compte. Ou je ne voulais pas m'en rendre compte. Mais là, c'était encore une autre histoire.

" Non. Pour l'instant, c'est plutôt moi qui aurait pu causer des dégâts. Tu sais, ce n'est pas glorieux, mais une amie a du me faire du mal pour ne pas que je fasse de bêtises .. Quand je suis affamée, je suis encore incontrôlable. Malheureusement. "

Je me souvenais de ce jour sous la neige où Hebi avait du m'envoyer contre un arbre parce que j'avais failli sauter sur un corps qui était déjà vide de tout liquide vital. Je m'étais précipitée en sentant l'odeur du sang. Rien de glorieux. Mais je n'avais pas pu m'en empêcher. J'étais devenue comme folle, et mes pensées n'avaient plus réagi qu'à cette idée, cette pensée morbide. Un corps qui pourrait me servir à me délecter pleinement.
Quand j'avais repris mes esprits, j'avais été totalement perdue, incapable de comprendre ce qui m'était arrivée, et partiellement sonnée. Douleur. La violence avec laquelle elle m'avait propulsé m'avait fait reprendre mes esprits tant bien que mal. Ce souvenir était si frais. C'est l'impression que j'avais, à cet instant.

Je me retournais.
Angel était en train d'observer la lune. Tel un enfant, ses yeux reflétait l'émerveillement qui l'emportait, quand il la regardait. La lune : c'était toujours quelque chose qui avait fasciné le monde. Les premiers pas sur la Lune avait été un miracle. Un événement grandiose ; parfaitement génial. Les enfants apprenaient à l'école le nom de celui qui avait réalisé ce grand pas pour l'humanité.
La lune était la source d'interrogations. Un questionnement. Elle était belle. Pourtant on lui attribuait bien des effets néfastes. Celui duquel on parlait le plus ici, c'était la pleine lune qui faisait apparaître ces loups-garous, assoiffés et affamés. Évidemment. Comment pouvait-on penser à autre chose quand on était dans un endroit tel que celui-ci ? Franchement.
La pleine lune était donc également refuge de tout un tas de craintes et d'histoires plutôt anciennes. Des légendes expliquées ou non. Des peurs transmises de génération en génération par les Hommes.

Mais je le voyais bien : ses paupières commençaient à se faire lourdes. Il clignait plus souvent des yeux. Ils commençaient à être plus souvent fermés qu'ouverts, bien qu'on sente qu'il luttait, pendant un instant.
Il n'ouvrait plus la bouche. Les questions ne venaient plus. Elles étaient aspirées, incapables d'être prononcées : le sommeil devenait le maître, le plus fort. Sa force était alors sans limites et le plus simple était de se laisser aller dans les bras d'une tendre Morphée. Une douce fée qui pouvait nous conduire tendrement au royaume des rêves. Un lieu qu'il faisait longtemps que je n'avais plus entrevu. Cela me manquait. Énormément même. Mais que faire ? Entre la réalité saisissante et les cauchemars qui occupaient mes nuits, je préférais clairement devenir insomniaque.
Pourtant, il fallait bien que je dorme. Alors, je m'étais habituée - encore une fois - à être assaillie des images les plus horribles et les plus terrifiantes : du simple décès au terrible massacre. De la frustration à la condamnation. Mes cauchemars étaient couleur sang. Toujours le sang : poisseux, dégoûtant. Délicieux, attirant.

Il dormait maintenant. Dormait vraiment. Je l'entendais à sa respiration calme. Douce.
Ses yeux étaient clos et son visage reflétait une certaine sérénité. J'espérais simplement que sa nuit serait ponctuée plus de rêves que de cauchemars.

Un sourire se formait sur mon visage. Petite sourire.
L'ambiance était calme. Je le ressentais clairement à présent. Je trouvais cet endroit reposant. Pourtant, ce n'était qu'une chambre parmi tant d'autres ..

Endormi comme il l'était, il renforçait encore le sentiment qui m'avait envahi précédemment. Ce n'était qu'un novice dans cette vie, dans ce monde. Il ne connaissait rien de ce qui l'entourait et pourtant il avançait déjà de bon pied. Il n'allait pas tarder à mener son petit bout de vie ici et serait sans doute apprécié de beaucoup de monde, comme il était jeune et souriant. Un parfait surveillant, me direz-vous. N'empêche que je le considérais - assez stupidement, je l'avoue - comme un poulain et que j'avais le sentiment qu'il fallait que je fasse attention aux situations dans lesquels il se trouvait, dans les premiers temps.


Je n'allais pas m'attarder.
Maintenant qu'il était assoupi, je n'avais plus de raison d'être ici. J'avais eu comme consigne de lui dire ce qu'il voulait savoir et de répondre à ses interrogations. Pour l'instant, j'avais brillamment - me semblait-il - rempli ma mission.
A présent assoupi, il fallait que je le laisse récupérer de ses émotions de la journée. De la soirée, plutôt.

Je me levais et attrapait le bout de couette sur lequel j'étais auparavant assise. Je ne doutais pas qu'il allait se réveiller durant le reste de la nuit pour se mettre convenablement dans ses draps - il était toujours couché en travers du lit - mais en attendant, je le recouvrais du morceau de couette que je possédais.
Ce n'était pas grand chose, mais cela devrait suffire, pour l'instant.

Rapidement, je griffonnais un mot avec du papier et un stylo qui étaient fournis sur ce qui serait maintenant son bureau.


Sidney Hughes,
Chambre n° 39.

En cas de problèmes, tu sais maintenant où me trouver.
Nous nous reverrons sous peu.


A pas de loup, je m'avançais vers la porte. Je maudissais le parquet qui tantôt grinçait. Cependant quand je me tournais, j'étais rassurée de voir que jamais il ne se réveillait.
Arrivée à la porte, je lançais un dernier regard vers l'ange, toujours profondément endormi. Je refermais cette dernière doucement derrière moi. Elle n'était pas fermée à clé, mais personne n'aurait dans l'idée de venir .. Personne n'avait idée de sa présence pour l'instant, si ce n'était la secrétaire, le concierge et moi-même.

Doucement, je m'éloignais, éclairée seulement par la lueur de cette lune, toujours pâle et pleine. La seule qui éclairait mes pas jusqu'à ma chambre ou j'allais sûrement vaguement somnoler avant de reprendre une nouvelle journée de cours.


[ Fin du RP ]