Pas que je commençais à être agacée, mais il me semblait que sa peur était totalement infondée. Il avait vécu toute sa vie entouré de personnes dont certaines dont il ne connaissait peut-être même pas la vraie nature. Peut-être se promenaient-ils la nuit à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Peut-être jouaient-ils aux apprentis-sorciers quand ils ne savaient pas quoi faire, ou tout simplement pour se faciliter la vie. Il n'avait aucune idée d'à quel point la différence était en fait une banalité. On la croisait tous les jours dans la rue, mais peu de gens savaient réellement la distinguer.

" Idiot. Évidemment que les loups-garous ont des pulsions qui les poussent à devenir des bêtes. Mais ils n'en sont pas tout le temps. En dehors de la pleine lune, ce sont des gens comme les autres .. Leur alimentation et leur comportement sont identiques à ceux que tu pourrais toi-même avoir. A ceux que tes amis pourraient avoir. "

Je respirais profondément. J'allais m'expliquer de façon claire, afin qu'il comprenne où je voulais en venir. Ce n'était pas la peine de se frustrer .. Je pouvais bien imaginer que tout ce que l'on venait de lui dire se bousculait allègrement dans sa tête.

" Quant aux vampires .. Est-ce que je t'ai mordu ? "

J'ouvre la bouche et fait un drôle de sourire. On distingue toutes mes dents, en s'arrêtant évidemment sur les canines qui sont étrangement longues. On pourrait penser que cette dentition est cousine de celle du félin, ou que sais-je. En tout cas, ce sont elles qui retiennent toute l'attention du jeune homme ; ca, je le vois bien.
Et je referme la bouche, aussi nettement que je l'avais ouverte, après à peine quelques secondes. Pas la moindre trace d'animosité dans mes gestes.

" .. Évidemment que les vampires mordent. Mais tu vois bien que ce ne sont .. que nous ne sommes .. " J'avais du mal à m'avouer comme telle, et pourtant - quelque part - j'étais en train de défendre la race à laquelle j'appartenais maintenant. " .. Pas de bêtes purement assoiffées de sang. Les vampires savent contrôler leurs envies. Rien à voir avec ce que l'on peut dire dans les livres. "

Quand je disais qu'ils savaient se contrôler, effectivement je généralisais. Je ne savais pas vraiment me contrôler moi. Quand les pulsions étaient trop fortes, je me sentais exploser de l'intérieur. Je devenais vraiment folle. Mais cela, ce n'était pas la peine de le dire. Je faisais comme si les vampires n'étaient que ces gens qui vivaient depuis des milliers d'années et qui n'avaient jamais changé de race. Je ne parlais pas de moi et de tous ces autres humains qui avaient vu leur vie leur glisser dans les doigts sous forme de gouttelettes de sang. Hum.

La secrétaire me devance et s'avance vers Angel. Elle lui attrape la main une seconde fois, et le fixe droit dans les yeux. Son sourire ne blêmit pas, malgré la situation quelque peu acrobatique dans laquelle nous nous sommes fourrés à une telle heure de la nuit.

" Mon grand, ce que tu ne comprends pas, c'est que tes dons ne t'ont pas été donné dans le but de nuire aux autres, mais de leur venir en aide. "

Son sourire s'agrandit.

" Tu as la capacité de rendre les gens heureux. Angel, ton prénom te vas à merveille .. "

Elle ferme les yeux un instant et les réouvre. Je vois où elle veut en venir. Mes déductions avaient donc tout leur sens, car si je comprends bien ce qu'elle dit, Angel vient de la plus belle et la plus saine des races. Il est un envoyé du ciel qui vient effacer les malheurs, panser les plaies. Son but à lui est de redonner leurs couleurs aux mondes que certains ne voyaient plus qu'en noir et blanc. Un but sain. Un but qui devait être considéré comme une bénédiction.

" .. Tu es un ange, mon grand. "

Je soufflais. Il commençait doucement à comprendre que nous n'étions pas des fous, et que nous ne voulions que son bien. Le ton claire et gentil que prenait constamment la secrétaire devait bien l'aider à faire le vide dans sa tête.
J'étais contente qu'il revienne sur les idées qu'il avait semblé s'être fait de ce qu'étaient les races différentes de la race humaine. La nouvelle que lui-même n'était pas vraiment un humain - même si comme nous tous il en avait l'apparence - avait apparemment provoquer un choc en lui.

" Les livres ne se trompent pas sur ce genre de choses. Les anges sont les envoyés de Dieu autant que les démons sont les envoyés de Satan. Mais je te vois arriver mon grand. Tu vas me dire que tu n'es pas pur, que tu as commis des erreurs ? Les anges et les démons sont des humains autant qu'ils sont des créatures à part. "

Elle retourne derrière son bureau. Elle sent que l'ambiance se détend, tout doucement. Elle prend son calepin et note quelques mots dessus. On entend une vieille plume qui grince contre la feuille.

" .. Tous les hommes commettent des erreurs. Mais ton attitude ne trompe pas. "

Un léger sourire se glisse sur mon visage. Je ne me trompais pas dans mon sentiment alors. Je suis contente de voir que je ne perds pas cette curiosité maladive qui m'est pourtant souvent d'une telle utilité. Elle a accru mon sens de l'observation et m'apprend à cerner une personne.

Angel se tourne vers moi. Mon cas semble l'intéresser. J'espère bien qu'il va rester : il serait drôlement amusé s'il venait à poser des questions à tout le monde.
D'ailleurs, celle qu'il me pose me gêne un peu. Mais je ne peux pas vraiment l'esquiver. Alors je réponds, un main dans la nuque. Une petite voix, pas vraiment très assurée.

" A vrai dire, non. Moi je n'arrive pas à me contrôler tout le temps .. J'ai été mordu il y a à peine quelques années. Mais les vampires de sang-purs arrivent à se contrôler. Ceux qui ont été mordus depuis longtemps apprennent à faire main basse sur leurs envies, aussi. Même s'ils ne peuvent jamais s'en passer complètement. "

Sa deuxième question m'enthousiasme davantage. Il à vraiment l'air innocent. Et intrigué en même temps. Tellement intrigué, même. Il me donne envie de sourire.

" Les vampires sont comme les humains. Comme toutes les autres races. Il y a des bons et des mauvais, comme partout. Mais je suis contente que tu me trouve sympathique .. ! "

Comme des humains. Nous avions nos qualités, nos défauts. Pour certains, nous avions été humains à une époque. Mais tout cela était révolu.

Il sourit. Apparemment, il reprend pleinement conscience que la situation n'a rien de dangereuse. C'est dehors que ce peut être vraiment dangereux. Encore plus lors d'une nuit de pleine lune si éclatante que celle-ci.
Il se sentait davantage en sécurité, et l'ambiance qui régnait dans la pièce s'était soudain nettement détendue.
Même le concierge qui s'était tu pendant toute la période de " choc " de notre ami prononçait à présent à nouveau quelques mots.

" Bienvenue ici, maintenant que tu sais qui tu es. "

Évidemment, son ton n'était pas aussi aimable et charmant que celui de la vieille secrétaire, mais il faisait preuve d'une grosse bonne volonté, et cela pouvait se sentir quand il parlait. Je souriais, moi-même. J'étais plus détendue aussi, maintenant que la situation n'était plus conflictuelle. Que l'ambiance redevenait calme, et non plus électrique.
Je reprenais la parole.

" Ce n'est pas un hasard, j'imagine. Si tu n'as pas croisé la route d'un loup-garou, c'est que tu devais arriver ici, d'une manière ou d'une autre. "

Mon sourire en coin était à peine voilé.

" Je crois au destin. Pas toi ? "

J'avais une forte conviction, et c'était celle-ci : il y avait vraiment un " destin " pour chacun de nous. Des échantillons étaient tracés à l'avance, et le reste pouvait changer au fur et à mesure de nos décisions, des voies que nous décidions de suivre. Ainsi, nous n'étions pas mettre de ce que nous devenions, mais nous n'étions pas non plus de simples pantins entre les mains de la vie toute puissante. Il y avait un entre-deux. Ce qu'il pouvait nous arriver ne nous arrivait jamais vraiment en vain.
La vie était un combat perpétuel, entre joie et peine. Les plus faibles arrêtaient tôt. Les plus forts s'accrochaient aussi longtemps qu'ils le pouvaient. Finalement, certains étaient immortels. De naissance ou des suites d'un " accident ". Pour ceux-là, c'était encore une autre histoire : il fallait alors voir s'ils avaient l'envie réelle de passer une éternité à vivre. A voir les peuples mourir et se créer. A dire bonjour et adieu.
J'avais du mal à assumer cela. J'avais eu du mal à l'assimiler. Heureusement, j'avais conscience de ne pas être seule dans mon combat : j'avais foi en de fidèles amis sur lesquels j'aurais la possibilité de m'appuyer quand j'aurais du mal à avancer.

Retour à la réalité.

" Au fait .. Tu as d'autres questions ? Sur l'établissement, sur les gens, peu importe. J'imagine que tu dois te familiariser avec ces lieux maintenant, et avec ce que tu viens d'apprendre. "

Quitte à l'avoir accompagné jusqu'ici, je me porterai volontaire pour être son guide. La fatigue m'avait complètement quittée.

Évidemment, tout n'était pas écrit à l'avance. Par " destin ", j'entendais bien que tout n'était pas fondamentalement déterminé. Selon nos choix, nos décisions, tout pouvait encore changer. Cela dépendait à la fois de nous, et de ce que la vie avait voulu faire de nous.
Apparemment, la vie n'avait pas souhaité m'épargner, à un moment. Mais je me demandais toujours aujourd'hui si c'était dans le but uniquement de mettre fin à mon ancienne vie, ou plutôt de me faire " renaître " d'une certaine manière. Coupable ou sauveuse. Je ne savais pas bien comment la considérer, cette vie.

Il souriait à présent. Il avait pris de l'assurance. Il avait peut-être davantage confiance, autant en moi qu'en les deux autres personnages. Nous avions après tout mis tout à disposition pour que ce jeune homme sache qui il était réellement. C'était à présent chose faite.
Il était flatté de sa nouvelle nature. Il était enthousiaste, et se montrait soudain très curieux. C'était une bonne chose. Il valait mieux qu'il connaisse quelques bases, avant de s'aventurer dans cet établissement et de croiser des élèves venant de partout. Avant de faire la connaissance des autres surveillants, et des professeurs aussi.

Il plongeait son regard dans le mien. Le bleu dans le bleu. J'étais heureuse qu'il devienne si curieux de tout. Mais je ne pouvais répondre à toutes ses questions. Il y a beaucoup de choses qu'il devrait découvrir lui-même. Comme moi j'avais du découvrir et apprivoiser mes envies. Mais la tache serait plus aisée pour lui : il ne faisait pas le mal, mais le bien.

" Je pense que tu pourras calmer les esprits. Apaiser les gens. Tes dons te serviront en temps et en heure. Tu le découvriras par toi-même, et tu sauras bien assez tôt quand ils te seront utiles, j'imagine. Tu n'as pas de craintes à avoir sur le sujet. Tu sais, c'est un geste qui va rapidement devenir routinier. Comme quand tu bois ou que tu mange. Quand tu en ressentiras le besoin, tu sauras ce qu'il faudra faire. "

Voilà que venait une seconde question. Celle de l'immortalité. Alors cadeau ? Ou fardeau ? J'avais moi-même du mal à savoir ce que c'était. De l'idée du cadeau empoisonné, j'avais changé d'opinion, après une discussion un peu houleuse avec l'une de mes meilleures amies, ici. Elle m'avait servi devant les yeux la vérité crue. L'immortalité n'était pas un fardeau, seulement fallait-il se détacher de tous les liens que l'on pouvait avoir avec des mortels. Je n'y parvenais pas, malheureusement. Je ne pouvais concevoir de voir l'un des membres de ma famille terrasser par la maladie ou la vieillesse, alors que moi je pouvais vivre indéfiniment.
Moi, j'étais immortelle. Je pouvais faire tout ce que je souhaitais. J'avais l'éternité à mes pieds. Qu'en était-il d'un ange ?

" Je crois que les anges sont bien immortels. Pour des renseignements de ce genre, tu devrais peut-être t'adresser à des gens qui sont directement concernés. Tu n'es pas le seul ange ici. Je suis sûre que d'autres gens sauront mieux te renseigner que moi. "

Je souriais en coin.

" A toi de voir si l'immortalité te conviens ou non. De savoir si c'est une bénédiction ou une punition. Chacun a sa vision de la chose, je crois. "

Il fallait qu'il s'habitue à sa nouvelle identité. Il n'avait pas changé, et pourtant il était devenu totalement différent en quelques minutes.

Je regarde la scène. Le tout me fait vraiment chaud au coeur. Quand je vois Angel qui remercie la secrétaire et le concierge de cette façon, je me dis que nous avons bien fait de ne pas perdre patience et de continuer à entretenir une discussion rigoureusement argumentée avec le jeune homme. Maintenant qu'il savait qui il était, et qu'il s'était lui-même convaincu que cela ne pouvait être que la stricte vérité, tout le monde était heureux.
La secrétaire abordait un large sourire - faisant ressortir ses mignonnes petites ridules - le concierge quant à lui esquissait une sorte de demi-sourire. Il était un peu endormi certes, mais content que cette histoire prenne fin de la sorte.
J'étais moi-même un peu éloignée de la scène - en arrière-plan - et je regardais le tout d'un oeil dans lequel brillait une lueur de contentement.

Il était temps maintenant qu'il rejoigne sa chambre, effectivement, comme il l'avait dit. Il est vrai que mine de rien il se faisait vraiment tard, et que même s'il devait être joyeux, la fatigue devait doucement le surprendre.
Quoique ? Quand il se tourna vivement vers moi pour me prendre dans ses bras, je n'eus pas le moindre geste de recul. Je fus seulement un peu surprise, sur le coup. Je ne m'attendais pas à un tel élan de contentement, ou que sais-je. Je lui tapotais un peu l'épaule, histoire de répondre à cette étreinte surprise.

Il me chuchota quelques mots à l'oreille. Puis il s'éloigne, sans doute dans le but de me laisser répondre à sa question précédente.

Moi, évidemment, je n'ai rien contre le fait de l'accompagner. En plus, il semblerait qu'il ne soit pas vraiment fatigué, mais qu'au contraire, il veuille passer toute la nuit à en savoir plus sur ce monde un peu parallèle à celui qui avait toujours existé pour lui, jusqu'à présent.
Seulement, je n'étais pas la seule détentrice du pouvoir de décider si oui ou non je pouvais l'accompagner. L'idée en soi ne me dérangeait absolument pas, mais les élèves n'étaient pas forcément tolérés dans les endroits reservés aux professeurs et au personnel, comme les chambres.
Je tournais la tête vers la secrétaire, et mes yeux lui posèrent cette question muette ; permission accordée ?

Elle hocha la tête, dissimulant un petit sourire. Elle savait sans doute - elle aussi - qu'il ne trouverait pas immédiatement le sommeil cette nuit, et que c'était une franche bonne occasion de lui en apprendre davantage sur ce qui pouvait l'attendre. Que ce soit dans les prochains jours, dans les prochaines semaines, les mois, les années peut-être. Il fallait qu'il se familiarise rapidement avec tout un monde qui n'avait jusqu'à présent jamais été le sien.

" Bon, allons-y alors ! "

Je me dirige vers la bonne femme qui me tend une paire de clés. Ce seront celles d'Angel. Clé de la chambre, clé d'un casier, clé des salles .. Il allait être surveillant à présent. Il devait se sentir comme chez lui, tout doucement. Ce trousseau de clés lui donnait déjà de grosses responsabilités. Mais je ne savais pas s'il en était réellement conscient. Pour l'instant, il était plus dans un univers un peu parallèle, disons. Coincé dans son coin de paradis. Une nouvelle vie, ce n'était pas un beau cadeau ?

Je lui emboitais le pas, et après un dernier " au revoir " adressé aux gens avec qui nous avions eu l'occasion de discuter, je pris le soin de conduire silencieusement le jeune homme jusqu'au dortoir du personnel. Il n'était pas question de se faire remarquer. Pas question de faire du bruit. Que pourrait penser quelqu'un, s'il voyait une élève trainer dans les parages à cette heure ? Sans doute rien de bon.

Nous arrivions devant la porte qui allait nous ouvrir le nouvel univers de l'ange franchement reconnu ..


[ Continuer le RP dans le dortoir du personnel serait peut-être plus approprié, non ? Quand tu auras le temps, écris la suite et poste-la dans cette partie là du pensionnat ]