C'est l'histoire d'un château. D'une bâtisse sans rien d'extravaguant. Ni gigantesque, ni trop prétentieux. Un édifice du siècle dernier, rien d'extraordinaire. Un château que venait d'acquérir la famille Saint Marthory, nobles hongrois restés étonnamment humbles. Dans un monde régi par l’extension territoriale et par la puissance matérielle, Barthélémy de Saint Marthory, sa femme Constance et leurs trois enfants Siegfried, Kristian et Madeleine mettaient un point d'honneur à user de leur fortune à bon escient, faisant d'eux la risée de l'aristocratie.
Ils vivaient simplement dans une large maison de campagne. La famille était soudée, comme l'étaient celles de leurs aînés. Ils vivaient pour eux, entre eux. Peu importaient les critiques et les messes-basses. Ils étaient bien au-dessus de tout cela.
L'acquisition de ce château en ruines devenait une nécessité pour eux. Barthélémy, ayant fait fortune en brillant à l'armée, n'avait eu qu'une éducation moindre. Plus le temps passait, plus il en souffrait. Pour cela, il avait décidé d'élever ses enfants avec l'aide d'un apprentissage général rigoureux. Il voulait les voir briller d'intelligence, de savoir et de culture. Constance, elle, rêvait de faire valoir la valeur d'un travail acharné, d'une éducation scrupuleuse. Avides de connaissances sans rien apprendre, Barthélémy et Constance savaient ce qu'était la déception, et transmirent ce savoir-là à leurs enfants. Ils n'avaient, pour ainsi dire, plus le choix.
Il leur fallait promettre une culture à tout ceux qui s'y intéresserait.
Cette vieille forteresse médiévale en ruines deviendrait le premier lieu d'éducation du monde.
Des années de travail acharnées et une main d'oeuvre colossale plus tard et naquit le pensionnat de Saint Marthory. D'abord les jeunes gens hongrois, puis serbes, plus bulgares, se rendirent aux cours dispensés par des professeurs réputés et savants dans leur domaine. La popularité de l'établissement se fit entendre jusqu'en Europe de l'Ouest, et même en Asie. Des hommes et des femmes de tous horizons venaient s'instruire dans cet établissement sans aucun préjugé, ni même participation financière. Barthélémy et Constance étaient heureux et fiers de l'établissement qu'ils avaient créé. Ils finirent par déménager et habiter eux aussi à l'intérieur. La pension marchait extrêmement bien, tous était satisfaits.
Une nuit, alors que le pensionnat s'endormait, les nobles jaloux de la réussite de la famille Saint Marthory attaquèrent le bâtiment, le réduisant en cendres. Le feu et le sang ravageait le lieu, certains hommes de mains n'hésitant pas à tuer de leur propre chef pour dramatiser davantage la scène. Nombre d'innocents moururent dans le sinistre, dont la jeune Madeleine. Condamnés à l'exil pour négligence, Constance et son mari s'en allèrent le plus loin possible sans jamais connaître les circonstances du drame. Kristian se mit au service d'une famille bourgeoise et tenta de reprendre une vie normale malgré son nom souillé. Quand à Siegfried, on ne le revit jamais. Il avait survécu à l'accident, puis avait tout simplement disparu. On pensait qu'il était aller se pourfendre d'une telle honte. Or rien ne pu le confirmer.
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Quelques temps plus tard, l'Inquisition fit sa première victime. Les créatures légendaires, jusque là cachées parmi les humains et usant de leurs dons avec parcimonie, savaient qu'elles étaient menacées. Certaines choisirent de fuir seules, d'autres préférèrent se regrouper, mettant de côté leurs différents, et faisant de leur mieux pour s'en sortir vivants. Certains se trahirent mutuellement, mais tous finissaient par mourir. Impossible de dire si la confiance était naturelle ou imposée. Reste qu'un attroupement gigantesque de créatures en tous genres trouvèrent refuge dans les ruines du pensionnat de Saint Marthory.
La guerre apaisée, tous se séparèrent, faisant avant de reprendre leur route des ruines leur refuge commun, un endroit où la paix et l'entraide entre les races seraient de rigueur, peu importe le temps qui passe. Ensorcelées, les ruines furent protégées des pilleurs, et nombreux furent les individus non humains à veiller sur elles.
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Fin du 19°siècle, en Transylvanie. Pendant l'un de ses voyages, Arthur Kristiensen, archéologue et homme de sciences très intéressé par le paranormal, se rend près d'un château dit hanté. On entendrait pendant la nuit les cris des hommes et des femmes calcinés, dévorés vifs par les flammes des Enfers. Peu d'hommes osaient s'en approcher. Peu, mais pas lui. Arthur, après expertise, conclut sa thèse sur l'existence d'êtres différents des humains, dont l'existence même relevait du mythe: vampires, lycanthropes, anges, démons... tout cela existait, il en était convaincu.
Il savait pertinemment que quelque chose d'étrange se tramait dans cette forêt. Que ces ruines n'étaient pas innocentes. Alors il décida de reconstruire le château d'origine. Les moyens employés furent lourds, mais il y parvint. Durant les fouilles, Arthur tomba sur des archives vieilles de plusieurs siècles, et pourtant parfaitement bien conservées. Ces thèses vinrent appuyer son avis sur la question du fantastique. Et comme les propos traitaient d'un lycée, il décida d'en bâtir un qu'abriterait le château. Ce qu'il fit.
L'ouverture eut lieu des années après la remise en état de l'édifice. Arthur Kristiensen s'improvisa professeur et enseigna l'archéologie aux jeunes gens qui vinrent étudier dans l'établissement. Seulement, pendant la fête dédiée à la première année de mise en service de l'école, Arthur fut introuvable. Volatilisé. Personne ne le revit alors, mais le lycée continua à vivre, grâce au rachat d'un riche américain du nom de Travis Lalonde. Conscient du potentiel du lieu, il se jura d'en faire un temple d'enseignement, plus par cupidité que par réel intérêt de la culture et de la science.
Les années passèrent. L'actuel directeur possède entre les mains l'un des meilleurs lycées du monde, renommé Olett, réputé pour sa grande cosmopolitarité et son taux impressionnant de réussite aux examens. Venus des quatre coins de la planète, les étudiants mais aussi les professeurs et le personnel cherchent à gagner ces murs pour y trouver leur bonheur, qu'il soit dans les notes ou dans le salaire.
C'est sans compter la part de population non-humaine qui habite le pensionnat, et sans compter les fantômes du passé et les terreurs du futur qui peuvent surgir...