[Parce que tu me l'as demandé...]
Il était une fois…
Prince Charmant, une balle d’argent logée au beau milieu de cœur. Prince déchu, Prince de pacotille. Prince aimant ne pouvant être aimé, Prince devenu inutile. Chère Prince ne sais faire que cela, Monsieur procréé pour l’amour, Prince encore pieux, Prince croyant aux douce mélopées de Mère, Prince perdu dans ce monde de fou, Prince n’est qu’un enfant, Prince ne sais rien, personne ne lui a jamais rien apprit. Il ne faut pas lui en vouloir. Prince n’est que Prince, il n’a jamais été plus que cela.
Homme au cœur fendu, seul, se croyant châtié de tous. Continuant sur sa voie sans savoir pourquoi il arpente encore ce repère inconnu. Il a perdu pourquoi il existait, il ne sais plus pourquoi il est ici, d’ailleurs, il ne l’a réellement jamais su. Il marche, regardant les Autres, mais les Autres ne posent pas un œil sur lui. Pourtant, Prince est Prince, Prince aurait dû capter tous les regards. Il aurait dû.
Quidam démantelé songeant à elle, encore une fois. Elle qui l’a rejeté, elle qu’il a tant aimé en secret. Prince s’apprêtait à grimper à son balcon, lui offrir une rose rouge en guise d’amour éternel. Monsieur Charmant s’était préparé, comme le veut son rang d’idylle de conte de fées. Aussi beau que la légende le décrivait, Prince s’était fait rayonnant pour la page 26, celle où Prince libère Princesse captive des bras de Marâtres blasphématrice, celle où deux pages plus loin, ‘ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants’. Prince croyait dur comme fer à cette phrase, d’ailleurs, il ne vivait que pour atteindre cette ligne, Rêveur a été procrée pour cela, et il ne sais rien faire d’autre.
Prince est beau, Prince est prêt, tout est prêt. Tous le monde l’encourage, car Prince est Prince, il ne peut en être autrement. Chevalier d’argent est allé à la rencontre de Dragon, il a mortifié cet être démoniaque, Prince est allé le tuer pour de mystérieuses raisons, raisons que seul Prince connaît. D’ailleurs, il sera le seul à détenir le secret.
Passage arraché par les producteurs de ces doux romans pour enfants, celui où Prince rêvait, celui où il laissait aller son imagination. Princesse l’attendait, dans ses rêves les plus fous, prince se voyait lui faire la cours, posant un délicat baisé sur sa nuque d’ivoire, ses mains baladeuses caressant ses lèvres sucrées, descendant effleurer son dos. Prince sensuel admirant les magnifiques plafonds de chambre de Princesse, confortablement choyer entre ses bras. Tel un enfant ayant reçu une sucrerie, Prince est heureux, Prince sait que tout se passera de la sorte, car Prince est Prince, et il doit en être ainsi.
Victorieux, Prince rentre. Son village entier là pour l’acclamer, car, bien entendu, tout le monde était au courrant, tout le monde savait qu’il avait réussi à mettre à mort Dragon. D’ailleurs, il ne pouvait en être autrement, Prince est Prince, ne l’oublions pas. Confronté au balcon de la Belle, franchir une échelle de roses pures, une échelle sans épine, une échelle de conte de fées. C’est le grand jour, ou plutôt, la grande page. Celle où Prince s’apprête à révéler ses sentiments à Princesse, moment des plus romantiques, celui où Princesse est renversée de bonheur par tant d'inattendu. Légèrement décontenancée, la Belle s’attendrira, tremblera pour tomber inopinément dans les bras de Prince puissant. Bien entendu.
Alors Prince est monté, par ces fichus ronces. Prince a bravé la hauteur de sa foutue tour pour délivrer pauvre Princesse. La belle aurait dû dormir, allongée telle une pierre sur son lit de sois, sur son lit de satin. Prince atteint avec peine les méandres de ce donjon, et arrive enfin à la hauteur de son balcon vertigineux. Prince se recoiffe, Prince doit être parfait pour le grand jour. Une grande inspiration, remettant les pans de son costume en place. Moments coupés par le scénariste, même après être tombé au beau milieux des flots, Prince est toujours sec et terriblement séduisant, c’est bien connu. Un regard derrière les voiles cotonneux de la chambre de sa bien-aimée. Prince est près, Prince va entrer en action. C’est le moment, prince le sait, il devait en être ainsi. Il n’a pas peur, il connaît déjà sa réponse, il n’y a pas de raison qu’il ait peur, Prince n’a jamais peur, il brave tout, affronte tout, tout le monde le sait.
D‘une main vigilante, feignant la douceur, Prince ouvre doucement la balustrade, et pose un regard empli d’amour en direction du baldaquin où l’attend depuis cents Lune sa bien-aimée. Prince s’approche, cachant derrière son dos une rose lisse, dénuée d’épine et outragent rouge. Modeste présent, témoignage de son amour éternel. Effigie du romantisme, Prince arbore un sourire charmeur, et d’un pas gracile, pose un genoux à terre, laissant son épée résonner tendrement sur le sol de marbre tapissant la chambre de Princesse. Soulevant lentement le draps pour ne pas brusquer la Belle, il plonge un regard tendre en direction de la masse gracieuse et tremblante qu’il vient de découvrir. Prince contemple avec émois son dos de nacre, Prince est transis. Il se penche pour embrasser pieusement Princesse, caresser ses lèvres pulpeuse, première rencontre, l’embrasser pour la réveiller de ses songes éternels. Se pencher à son berceau pour qu’elle devienne sienne, pour qu’il puisse vivre heureux jusqu’à la fin de ses jours en sa divine compagnie. Il s’est approcher, tout devait être le mieux dans le meilleur des mondes, il n’aurait jamais pensé s’écorcher.
Prince est tellement… naïf
Mais Prince ne croyait pas découvrir telles inepties. Bougre passe une main devant sa bouche, croisant avec effrois le regard de Princesse moins féerique à présent. Princesse prend peur, se couvre, se cache, cri devant ce gêneur, appelle la garde. Princesse est terrorisée, elle ne sais pas ce qu’il lui arrive, tout aurait dû bien se passer, Princesse aurait dû vivre heureuse et avoir beaucoup d’enfant une page plus loin. Rien de tel n’était écrit, jamais elle n’aurait dû se faire agresser, Princesse pleure, Princesse est naïve, c’est pour cela qu’elle a été crée, Princesse ne sais rien faire d’autre, il ne faut pas lui en tenir rigueur…
Pauvre Prince se lève, cours vers la fenêtre, se cogne, renverse un vase de cristal au passage. Prince se coupe, mais Prince continu. Sautant du balcon, s’étalant au sol, il ne comprend pas, il aurait dû atterrir sur ses jambes, pourquoi rien n’est plus tel qu’il était écrit ? Prince se relève péniblement, passant une main sur son bras endolori. Le Fugueur ne regarde plus derrière lui, perdu, il pleure comme un enfant. Prince n’est qu’un enfant, il ne faut pas lui en tenir rigueur. Ce n’est qu’une marionnette attractive crée pour le spectacle. Personne ne lui a rien apprit. Ce n’est que Prince, Prince de pacotille. Prince devait pourtant être unique, le seul en son genre, le seul Prince de cette histoire. Pourtant, il y en avait un autre, dans le lit de sa Princesse. Un autre parfait et beau Chevalier, une autre effigie. Cela était impossible, il ne devait pas exister, il y avait un seul Prince, celui-là ne devait pas exister, il ne pouvait pas exister…
L’esprit tortueux de Prince entre en action, et pour la première fois, pense par lui-même. Se remet en question, éprit de questions rhétoriques ridicules. Retour à la réalité, ou plutôt premier pas dans la réelle réalité humaine. Pauvre Prince, pauvre acteur. Prince n’est qu’un clone conçu pour le septième art. Rien de plus, un jouet facilement remplaçable, qu’il se blesse n’a pas d’importance, qu’il comprenne n’a pas d’importance, qu’il souffre n’a pas d’importance, il y aura toujours un nouveau Prince parfait pour prendre le relais. A la manière de ces pauvres actrices finies, trop vieilles pour continuer le spectacle, trop vieilles pour demeurer premières effigies féminine. Remplacées comme on changerais un cierge de son bougeoir après tant d’années de loyaux services. Il y en aura toujours de nouvelles, il y aura toujours de nouvelles pieuses innocentes pour endosser le rôle d’idylle. Il est tellement facile de briller, tellement simple de s’accaparer les projecteurs, mais si dur d’accepter de s’en défaire…
Alors, Prince est-il réellement si unique qu’il pensait l’être ? Voilà deux Princes, deux entités ne pouvant vivre dans le même corps. Une confrontation. C’est tout ce qu’il leur restaient pour se départager, savoir qui dormirait le soir dans les bras cristallins de Princesse mélodieuse. Prince Charmant était le plus vieux, il était fini, Prince Charmant était révolu, has-been. Plus rien pour lui, et il était surtout le plus faible. Il n’a même pas eu le courage de se révolter contre ce Prince d’un nouveau genre, ce Prince à la crinière d’un blond flamboyant, Prince tout droit sortit des lumières d’un génie, un nouveau Prince d’une autre espèce inconnue, fraîche, affleurant du nouveau marché mondial. Un Prince flamboyant, superficiel, un Prince que les minettes adulent en secret. Charmant quant-à lui, ne faisait pas le poids, il n’avait d’autre initiative que de se retirer. Lui laissant le champ libre, en bon dévot, lui laisser sa place de premier pour endosser celui du loser. Car Charmant n’est pas dupe, il a comprit qu’il était fini, et que personne ne voudra de lui. Parce que dans cette histoire, il n’y a qu’une seule Princesse et que lui, ne vivait que pour vivre sous ses louanges. A présent que la Belle est prise, il n’a plus rien a faire, plus rien a faire en ce monde chimérique.
Prince se croyait fort et grand. Prince se croyait beau et seul maître de cette histoire. Prince se relève, pose un regard sur la grande échelle de roses, des épines provocatrices le menacent de lui effaroucher dangereusement la peau s’il s’approche. Prince a perdu, il avait sa chance, il n’en aura plus. Prince baisse les yeux et s’éloigne, sort du décor, se mêler à la pénombre de dehors. Prince marche inlassablement, sans s’arrêter, prince ne s’arrêtera jamais. Il arpente à présent une voie composer de Rien, juste un Rien infini pour seule compagnie. Le néant pour suivre ses rêves, un néant pour l’accompagner dans la débauche. Un néant observant avec délice son âme se décomposer derrière lui.
Il est dix-sept heure. Les lumières s’éteignent, les gorges se délient, soupirent enfin, fières de leur travail. Les techniciens ramassent les derniers films gisant au sol, tandis que les acteurs s’étirent en silence, épuisés. Le scénariste leur adresse un sourire, s’approchant d’eux pour leur serrer la main. Il les accompagne jusqu’à leur loge, posant une main paternelle sur leur dos. Le dernier agent s’éclipse, il a oublier d’arrêter la photocopieuse. Les dernières veilleuses s’éteignent une à une dans un claquement sonore. Il ne reste plus qu’une faible lueur naturelle se faufilant par un interstice du plafond. Les lumières s’abaissent jusqu’au sol où une rose opiniâtrement rouge gît tel un cadavre démantelé, flétrie, oubliée.
Sujet: |Prince| 
