Il fait bon encore pour une fin de mois de septembre.
Ouais, j'entame mes journées avec une banalité. C'est déprimant, je suis d'accord. Arrachant mon regard de la fenêtre de la chambre que je partage depuis que je suis arrivée, j'enfile rapidement ce qui me tombe sous la main et vide mes affaires de cours de mon sac. Il est temps pour moi d'aller explorer Leasure. Je n'ai fait que traverser la ville en venant, je n'y ai posé les pieds que pour changer d'arrêt de bus et prendre celui qui traverse la forêt pour venir jusqu'ici. Et ici, le week-end, je m'y emmerde comme un rat mort. Quoi que, un rat mort est mort, il ne s'ennuie pas lui. Interrompant cette spirituelle pensée d'un haussement d'épaules, je quitte la pièce et traverse le lycée à bonne allure. Je ne sais pas si c'est moi qui imagine des choses, mais ces longs couloirs gris ne m'inspirent que moyennement confiance. Décors de films que je dis, et puis le bâtiment est pas tout neuf, ça ferait mal si on se prenait une malheureuse pierre dans la gueule. J'ai beau adorer l'architecture et savoir très bien comment fonctionne le système des voûtes, je n'ai jamais réussi à me sentir vraiment à l'aise en dessous. C'est irrationnel. Ça m'agace.
Mais je non, je ne m'énerve pas. Mon sac ballote contre ma hanche à chaque pas, dedans j'ai mon carnet à croquis et mes crayons, mon portable et mon porte-feuilles. Dedans j'ai des oiseaux. C'est pour aller les voir que je sors en fait, ici je les entends, mais ils sont dans la forêt, je n'en ai pas vu beaucoup. Je ne suis pas arrivée depuis longtemps, je sais bien, mais bon. En ville, ils sont aussi moins sauvages, même si je commence à me lasser de dessiner des pigeons. J'ai pensé à garder du pain du réfectoire pour les attirer, je me suis constitué un joli stock de gomme avant d'arriver en Roumanie...pour une fois, j'ai pensé à tout, mais j'ai l'impression qu'il me manque quelque chose. sûrement parce que je ne suis pas habituée à m'organiser autant. Enfin, je ne vais pas m'en plaindre.

Le bus n'a pas été long à arriver, j'avais même pensé à consulter les horaires. J'veux pas dire, mais je commence à me faire peur. C'est p'têtre de me retrouver toute seule qui me fait me découvrir un sens de l'organisation insoupçonné. Mouais, j'en doute, mais bon. J'adore le bus, j'adore regarder les gens dans les transports en commun. Comme beaucoup de mon je crois, mais j'aime bien les dessiner aussi, même si je préfère les oiseaux. Mon grand rêve, c'est d'arriver à rendre compte du mouvement sur un morceau de papier, d'arriver à dessiner des corps qui bougent, qui se cambrent ou se tendent dans un effort...Mais j'en suis encore loin. Pour l'instant, je tâtonne, je ne me suis mise à dessiner réellement que très récemment. Avant je me contentais de gribouiller dans la marge de mes cahiers ou sur des feuilles volantes pendant les cours. Maintenant j'ai fait l'acquisition d'un carnet, ça fait plus sérieux, plus "artiste". Ce que je ne suis pas. Moi je suis...Je ne sais pas trop.
Je suis descendue à un arrêt quelconque dès que le bus est entré dans Leasure, et je n'ai pas eu longtemps à chercher pour me prouver que mon intuition légendaire ne m'avait pas trahie, encore une fois. Je trouve toujours ce que je cherche.

J'ai marché jusqu'à un banc où je me suis assise. Sans me presser, pour ne pas leur faire peur, et j'ai sorti le pain de mon sac. Les avants bras appuyés sur mes genoux, je l'ai émietté, voilà, c'est passionnant, et j'ai fait exprès de laisser les morceaux tomber juste devant mes pieds. C'est mignon un oiseau qui s'interroge, il penche la tête sur le côté et sautille vers l'avant, puis vers l'arrière. On dirait une petite machine à ressorts. Et puis j'ai dessiné. Bonne journée en somme, pas follement palpitante, mais très agréable. Enfin, après une demie heure à gribouiller sur mon carnet, je n'ai plus pu tenir assise et je me suis levée pour aller me dégourdir les jambes. Abandonnant mon sac sans surveillance, j'ai traversé le parc en courant, un petit sprint pour s'éclaircir les idées. Et un point de côté, il était plus long que je l'avais jugé au premier abord. pas grand monde par contre, mais je préférais tout de même retourner près de mon sac. Pas que je tienne franchement à ce qu'il contenait, à part peut-être à mon carnet, mais il n'aurais pas intéressé grand monde; et puis il aurait fallu que je me rachète un sac et un portable, ç'aurait été plus emmerdant. J'roule pas sur l'or ni l'argent moi. Alors que je rasseyais, quelque chose attira mon attention. La fille, sur le banc d'en face, n'avait pas bougé depuis que j'étais partie. Depuis que j'étais arrivée dans le parc à bien y réfléchir. cette pensée fit courir un frisson glacé le long de mon échine et j'hésitais un moment avant de me lever et de m'approcher d'elle. Blanche, trop blanche, mais elle avait de jolies jambes. Je me demandais si je devais la secouer vous vérifier si elle dormait ou si il y avait vraiment...un problème mais je renonçais bien vite. Je n'avais aucune envie de tripoter un cadavre, et si c'était pour me faire accuser de meurtre après, non merci. Quoique s'eut été un geste approprié dans cette situation.

_Heu...excusez-moi. Vous...vous allez bien ?

Après un temps d'hésitation supplémentaire, je tendis finalement la main vers elle pour effleurer ses cheveux mais me ravisais au dernier moment. Elle venait d'ouvrir les yeux. Et moi je me trouvais penchée au dessus d'elle dans une posture pas forcément très naturelle qui avait cependant le mérite de m'offrir un large panorama sur son décolleté. Ça a des avantages de toujours tout voir de haut.

_Oh pardon...je croyais que...euh, excusez moi...