Elle avait eu droit à une visite guidée des lieux. C'est vrai qu'il fallait qu'elle se familiarise rapidement avec l'endroit, comme elle arrivait en cours d'année. Pas le temps de traîner. Il fallait qu'elle sache où se situaient les salles dans lesquelles Sidney allait avoir cours. Puis aussi où se situaient le réfectoire et d'autres divers salles qui importeraient pas mal dans sa survie ..

A présent, ses valises avaient été amenés gentillement dans sa chambre par elle et quelques personnes dont elle venait de faire brièvement la connaissance. Mais des gens qui avaient tous l'air d'être assez sympathiques, bien que chacun assez différents. Après tout, ce lieu, c'était un lieu de différences .. Crée pour des êtres comme eux tous : différents. C'était le bon mot.

L'ex-humaine soupira en se décollant du carreau d'une des vitres. Il était couvert de buée et froid. Reflet parfait du temps qu'il faisait, dehors, bien que le soleil était en train de briller sur cette charmante Transylvanie.
A l'intérieur, il faisait bon, grâce au feu de bois qui était en train de crépiter dans une jolie et imposante cheminée à l'air ancien. Elle se demanda l'ombre d'un instant quand est-ce que cet établissement avait commencé à exister. D'après sa famille, cela faisait fort longtemps, mais très peu de gens en connaissaient l'existence, et encore moins savaient ce qu'il se cachait réellement derrière les grosses grilles et l'imposante porte d'entrée.

Elle quitta donc la fenêtre et son rebord certes très accueillant, au profit cependant d'un fauteuil sombre, qui avait l'air particulièrement confortable. La jeune fille plongea dedans, dans un beau saut : effectivement, il était super confortable ! Un délice, quand cela faisait quelques heures qu'on n'avait plus eu l'occasion de s'asseoir.
Sid' attrapa un magazine qui trainait sur une table basse en bois, qui elle même trônait sur un épais tapis aux couleurs sombres. C'était un magazine de mode .. Le genre de trucs que les jeunes adolescentes lisent avec plaisir, et dans lequel elles trouvent nombre d'astuces pour " se détacher de la masse " alors qu'au final, elle n'en deviennent que plus des moutons. Ma foi, il faut bien faire passer le temps avec quelque chose. Elle-même était très intéressée par cette même mode .. Alors, comme elle avait un peu de temps devant elle avait de récupérer son emploi du temps ainsi que ses livres de cours, elle commença à feuilleter le magazine ..

Sid' était tranquillement en train de lire, ou plutôt elle laissait défiler devant ses yeux les images de vêtements, de coupes de cheveux, d'accessoires. Ses yeux voyaient, mais son esprit n'enregistrait que très peu. Si elle essayait de ses concentrer sur les articles, qu'elle admirait les sourires de ces actrices et de ces mannequins, elle n'en comprenait en fait pas vraiment le sens, car elle n'était pas pleinement concentrée sur ce qu'elle était en train de faire.

Alors qu'elle avait repris du poil de la bête - si on pouvait lui accorder l'expression - elle se décida à se concentrer sur un article. Mais lorsqu'elle commença à le lire, les pages se tournèrent soudain, et une brise de vent passa dans ses cheveux. Fouettant légèrement son visage, sa peau de cire. Ce qu'elle cru d'abord être un courant d'air, jeta un coup de froid dans la salle qui était pourtant réchauffée par le feu qui crépitait, plus loin, dans la cheminée. Mais, avec le coup de vent, était entré une personne dont elle reconnu facilement la silhouette, avait même de reconnaître son visage. Elle l'avait croisé lors de sa visite guidé, et c'était peut-être la personne qui lui avait paru le plus étrange. Mais peut-être n'était-ce que des impressions .. Sidney ne s'était jamais permis de juger réellement des gens qu'elle ne connaissait pas, seulement par leur apparence où la façon dont elle les avait vu agir, une seule fois.

La jeune fille l'avait remarqué, mais apparemment, elle n'avait pas souhaité lui accorder un mot. Tant pis, Sidney se lancerait alors. Histoire d'être polie, tout de même.
Elle dégaina un de ses petits sourires et - même si la jeune fille était dos à elle, concentrée sur ce qui se passait à l'extérieur - elle lui adressa quelques mots.

" Ah bonjour ... Yami ? "

Elle sentait le vent, qui faisait des courants d'air, par-ci et par-là. C'était intriguant. Comme s'il suivait Yami. Personnage bien mystérieux d'ailleurs. Elle ne ressemblait pas aux autres personnes. Quand elle l'avait croisé auparavant dans les couloirs, elle avait déjà remarqué comme elle semblait n'avoir de confiance en personne, et comme elle était prête à livrer bataille au moindre geste déplacé. Cette forme de violence était-elle due à quelque chose de particulier ? Ou était-ce simplement dans la nature de la jeune femme ? Cela, Sid' l'ignorait complètement. Pourtant, elle en demeurait intriguée.

*Je crois avoir trouvé un endroit où nous ne serons aucunement dérangés Kazegami. Ne perdons pas une seconde. Allons-y de ce pas avant que la place ne soit prise. Je ne compte pas passer ma journée à chercher. Je suppose qu'il en va de même pour toi. Plus vite y serons-nous, plus vite je pourrai aller voir Hikari. Je ne suis pas allée à elle depuis un petit moment. Il faut que je corrige cette erreur.*

" Ah bonjour ... Yami ? "

*Et mince. J'espère que nous ne sommes pas partis pour nous lancer dans une grande discussion. Cela aurait vite fait de m'énerver.*

La ténébreuse fit demi tour sur elle-même avant de fixer son interlocutrice de son seul oeil valide. Main gauche à l'épée, elle adressa un salut de la tête à la jeune fille avant de répondre:

"Bonjour Sydney."

*Il y a des jours où je regrette d'avoir été à bonne école et d'avoir appris respecter les bonnes manières. Je crois que c'est la dernière fois que je mets les pieds ici. Je ne voudrai pas perdre de temps à faire la conversation à chaque personne que je rencontrerai.*

"Si tu as quelque chose d'important à me dire ou à me demander, fait le rapidement. Je n'ai pas de temps à perdre en futilités."

Bonne attitude pour ce qui était en apparence. Elle avait répondu à ses salutations. La jeune fille en fut contente, l'ombre d'un instant. C'était sans compter l'expression légèrement exaspérée qu'elle pouvait aborder. Sidney fit comme si de rien n'était, jusqu'à ce que la vampire s'adresse à nouveau à elle, cependant d'une manière qu'on considérerait sans doute comme plus " cash ".
Si elle avait quelque chose d'important dont elle devait lui faire part ? Ou quelque chose à lui demander ? Allez, puisqu'elle était lancée, autant laisser parler un peu sa curiosité, même si elle n'aurait sans doute qu'une plus grande exaspération de la jeune fille à y gagner. C'était un peu le tout pour le tout là, non ?

Elle laissa s'échapper un petit soupir, nullement ennuyée, juste contente de se détourner un peu de sa lecture. Contrairement à Yami, en apparence, Sidney aimait le contact humain. Elle était à l'aise avec des gens à qui elle pouvait parler. Ce n'était peut-être pas le cas de son interlocutrice potentielle.

" Je ne sais pas si c'est futile, mais .. " Enfin, si. En fait, elle savait pas que ça l'était. Curiosité, quand tu nous tient .. " .. Qu'est-ce qui est arrivé à ton œil droit ? Pourquoi le caches-tu derrière ce vilain cache-œil ? "

Libre à elle de répondre .. Ou non.
Après tout, elle pourrait très bien alors tourner les talons, faire comme si Sidney n'avait jamais posé de question, et partir le cœur léger, heureuse d'être enfin à nouveau seule, et ravie également d'avoir échappé à une conversation qu'elle n'avait sans doute en rien espérer. Ou alors elle pouvait décider de lui répondre, en mettant plus ou moins de cœur à la tâche.
L'ex-humaine ne savait pas bien comment voir la vampire. Elle ne l'avait entendu que trop peu parler pour l'instant, et son caractère, la façon dont elle agissait, la faisait particulièrement réfléchir.
La curiosité, encore une fois, frappa.

" Et aussi - mais encore une fois, ce doit être une futilité - tu n'as pas vraiment l'air d'apprécier la compagnie. Tu n'avais pas l'air à l'aise lors de ma visite. Puis, tu semble constamment sur tes gardes .. "

Elle s'arrêta, et posa son regard sur la main de la jeune fille, posée sur la garde de son épée.

" .. Y a-t-il une raison à cela ? .. C'est peut-être trop indiscret, et tu n'es pas obligée de répondre. Mais ça m'intéresse. "

Ses yeux bleus scrutaient l'œil valide de son interlocutrice. Elle était maintenant très intriguée par cette fille dont elle ne connaissait rien. Ni l'histoire, ni le comportement, ni les réactions qu'elle pouvait avoir. C'est peut-être cela qui lui plaisait, dans le comportement humain.

Ainsi c'était pour cela qu'Hebi s'était auparavant inquiété pour l'œil de Yami, dans les couloirs ? Elles s'étaient battues toutes les deux, et Hebi avait blessé l'œil de la jeune fille. Mais pourtant, quand elles ont discuté, il n'y avait aucune animosité dans leurs propos, semblait-il à l'ex-humaine. Enfin, tout cela n'était que des impressions qui lui étaient propres. Aucun moyen de savoir ce qu'il en était vraiment.

" Ah. Je suis désolée pour ton œil. En espérant qu'il guérira rapidement. "

Ajouta-t-elle d'une petite voix songeuse. Elle écouta la suite du récit de la vampire. Elle se demandait bien qui elle trouvait agréable ici. Et puis elle se rendit compte qu'elle n'avait pas lieu de dire cela, puisqu'elle ne connaissait quasiment personne dans les lieux. Peut-être y avait-il d'autres personnes constamment sur leurs gardes, ou peut-être qu'elle aimait les gens qu'elle sentait avoir le besoin de protéger, à la façon d'une héroïne. Peut-être s'était-elle liée d'amitié avec une personne qui avait un caractère diamétralement opposé au sien. Peut-être qu'elle avait plein d'amis. Elle n'en savait fichtre rien, après tout.
Elle esquissa un sourire.

" Ah, je ne doute pas qu'il y ai plein de personnes agréables ici. "

Elle continua.

" Tu as l'air de te plaire dans la solitude, d'après ce que j'ai pu voir. Tu ne recherche nullement le contact si on ne te le met pas sous les yeux, non ? "

Enfin, c'était une question qui ne cherchait pas de réponse. Ce n'était qu'une pensée à haute voix. Une analyse que la jeune fille tentait de faire de la personnalité et du caractère de son interlocutrice. Un peu à la manière d'un jeu.
Est-ce qu'elle était satisfaite de sa réponse. Certes oui. Mais une nouvelle venait de germer dans son esprit. Grande stupidité qu'était la curiosité parfois, hein ?

" J'ai une autre question, en fait. Tu parles de Kazegami ? Quand tu dis qu'il n'est pas matériel, qui est-il alors ? Un esprit ? Un défunt ? Quelque chose comme ça. "

Tout de suite plus intéressant, quand on connaissait les capacités de la jeune Hughes. Mais il était cependant impossible que ce soi l'âme d'un défunt.. A moins qu'il ne soit pas dans la pièce. Sinon, elle l'aurait forcément vu. Voilà qui était intéressant.

La vampire écouta les remarques que faisait la jeune fille sans y attacher une trop grande importance. Tout ce qu'elle désirait été de partir.

" J'ai une autre question, en fait. Tu parles de Kazegami ? Quand tu dis qu'il n'est pas matériel, qui est-il alors ? Un esprit ? Un défunt ? Quelque chose comme ça. "

*Il est vrai que j'ai mentionné le nom de mon frère sans m'en rendre compte. Je suppose que cela ne le dérange aucunement d'être présenté à cette jeune fille.*

"Kazegami n'est pas un défunt. Il ne s'agit pas d'un esprit. Cependant, tu pourrais le prendre comme tel. Kazegami est mon frère. Kazegami est un fils de Mère Nature. Kazegami est le vent."

*Je suppose que tu ne t'attendais pas à une telle réponse. Après tout, quel intérêt y a-t-il à donner un nom à un élément? Pour certains, il n'y en a aucun. Moi, je lui ai donné un nom afin de lui montrer que je reconaissais son existence. Et pour le fait que je sois devenue sa soeur, il s'agit juste d'une décision de Mère Nature qui m'a fait passer du rang d'ami au rang de soeur du vent. N'est-ce pas Kazegami?*

Le vent tournoya autour de la ténébreuse comme s'il la serrait contre lui. Etreinte affective d'un frère pour sa soeur.

Sidney regardait la jeune fille, assez impatiente de comprendre qui pouvait bien être ce Kazegami, immatériel et pourtant bien réel, quelque part, puisque Yami en parlait. A moins qu'elle soit folle. Mais on excluait cette hypothèse.

" Le vent ? "

Elle resta un moment incrédule devant une telle explication. Elle ne pensait pas que l'on pouvait donner un nom au vent et le considérer comme une personne à part entière. Même comme un esprit. C'était étrange.
Et pourtant, quand elle y songeait, elle ne trouva rien à y redire. Il est vrai que certaines personnes, particulièrement proches de la Nature pouvait sans doute avoir, avec elle, des rapports qu'on aurait pu qualifier de privilégier. Ce devait donc être le cas de Yami.

" Oh, je vois .. "

Se contenta-t-elle de finir.
Sid' se rappela brièvement de ce moment, il y avait quelques minutes de cela, lorsqu'elle était entrée. La jeune fille avait entrainée avec elle un vent frais .. froid .. Un courant d'air bizarre qui semblait se balader dans la pièce, et qui parfois venait la frôler.
Lorsqu'elle parlait de lui, ou qu'elle s'adressait au vent, comme elle venait de le faire, la brise se faisait plus forte, et l'on pouvait constater qu'il était proche, tout proche de Yami. Assez loin de Sidney pour qu'elle n'en ressente qu'un léger souffle. Comme si c'était réellement une personne à part entière. Mais dont elle ne pouvait pas discerner les traits.
Et ça, c'était bien étrange pour Sidney, puisque depuis toute petite, elle avait toujours vu les vivants comme les morts, ayant pourtant toujours su les différencier.

Elle leva les yeux vers la jeune fille qui semblait toujours plus impatiente.

" Eh bien. Tu m'as l'air pressée .. Je ne veux pas te retenir. "

Elle lui adressa un petit sourire. Tout petit. Parce qu'elle ne savait pas vraiment s'il fallait prendre la jeune femme avec des pincettes ou pas. Elle était moins à l'aise qu'à l'ordinaire.

" Mais merci d'avoir répondu à mes questions, même si tu étais pressée .. "

Elle observa la jeune vampire, attendant une réaction, même toute petite. Ou peut-être attendait-elle qu'elle se précipite vers la sortie. Elle n'en savait rien, elle-même.

Sidney observa Yami, une dernière fois, avant qu'elle ne prenne congé. La jeune fille avait aimablement - ou plutôt elle avait pris son mal en patience - pour répondre aux questions que la nouvelle avait pu se poser. Maintenant, il était clair qu'elle était pressée de partir, et pour cela, Sid' n'allait pas la retenir. Elle savait faire taire sa curiosité quand il le fallait. Et là, en l'occurrence, aucune question ne lui venait plus à l'esprit.
Elle adressa un petit signe de la main à la vampire, alors que celle-ci s'éloignait déjà.

" Au revoir Yami ! "

Avait-elle prononcé, un peu plus haut, pour qu'elle l'entende encore, de là où elle était - en phase de quitter la pièce. Plus bas, elle avait murmuré pour elle-même un petit " A bientôt ". Enfin, elle ne savait pas quand elles allaient se revoir, mais étaient convaincue que le manoir n'était pas assez grand pour qu'elles n'aient pas le loisir de se croiser à nouveau. Même brièvement.

Alors que l'une quittait la pièce, une autre entrait. Décidément. C'était son jour de chance aujourd'hui ?
Les deux jeunes filles ne s'adressèrent pas une parole, ce qui renforça la curiosité de l'ex-humaine. Celle-ci posa les genoux sur le fauteuil, et se dressa dessus, afin que juste sa tête dépasse du dossier, et qu'elle puisse observer qui était la nouvelle-venue.
Et, elle constata que là aussi, elles avaient déjà fait connaissance. Enfin, vite fait. Très vite fait même.

Yami quitta la pièce, et Hebi se dirigea vers la blondinette. Celle-ci lui fit un sourire, et répondit à la formule de politesse qu'Hebi lui adressait :

" Bonjour Hebi ! "

Ouh. Qu'elle se souvienne des quelques prénoms qu'elle avait emmagasiné en arrivant, c'était déjà pas mal du tout. Fière d'elle, elle se retourna pour s'installer à nouveau normalement sur son fauteuil, alors que la jeune démone prenait place à son tour, sur le fauteuil d'en face. Elle avait la mine peut-être plus sombre que lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois, ce qui lui fit légèrement froncé les sourcils. C'était-il passé quelque chose entre-temps ? Elle tenta sa chance.

" Tout va comme tu veux ? Tu m'as l'air un peu ... pensive ? "

Elle laissa choir son magazine sur la table basse qui se trouvaient entre elles deux, et attendit une réponse de sa nouvelle interlocutrice, prête à boire chacune de ses paroles.

Un salut aimable, de la part de la jolie fille assise sur le fauteuil. Machinalement, Hebi avait pris place en face d'elle, la cheville droite sur la cuisse gauche, dans une position assise légèrement tendue, le visage complètement fermé, obscur, stressé. Sidney semblait ignorer son Aura, qui pourtant l'entourait comme un manteau. Elle joua avec le bras du fauteuil de ses griffes, déchirant machinalement le cuir confortable de l'objet. Ses yeux blancs refétaient la froideur de son âme. Hebi n'était pas en forme, décidément.

*Ressaisis-toi, Hebi. Détends-toi. Tout va bien, tu ne dois pas rester comme ça. Tu risquerais d'en mourir...
Un démon ne meurt pas comme ça.
Je ne parle pas du démon. Je parle d'Hebi. Je ne veux pas qu'Hebi meure.
Mana, je t'en prie. Je me contrôle parfaitement.
Non. Et c'est bien cela, le problème.*

" Tout va comme tu veux ? Tu m'as l'air un peu ... pensive ? "

Hebi s'agaça. Elle se fichait d'elle ou quoi ? Elle n'avait pas fait attention à son apparence alors ? Elle ne voyait pas son état ? Elle n'était pas pensive ! Elle crevait de faim, elle voulait tuer, tuer et tuer, déchirer la chair et la sentir brûler sous ses doigts.
Encore heureux que Sidney ne sache pas lire dans les pensées. Hebi n'aurait pas été étonnée si la jeune fille, à l'entente de ses pensées meurtrières, ne s'était pas enfuie... aussi, elle poussa un soupir de frustration. Depuis ce combat dans la forêt, entre Yami, Fushi Metsugo et Auro Drake, sans parler de Kyle Memory, la démone était devenue absolument infecte, bourrée de rage et de colère. Elle avait changé du tout au tout, depuis ce qui était arrivé entre... entre lui et elle...

En songeant à la personne concernée, Hebi sentit une petite vague de fraicheur envahir agréablement son corps. Il était son baume, même s'il ne le savait pas. Il était tout ce qu'elle désirait, et cela non plus, il ne le savait pas. Peut-être qu'un jour, elle le lui dirait. Lorsqu'il manifesterait de l'intérêt pour elle...

De sa voix à présent grave et rocailleuse, elle répondit à la jeune fille :
" Pensive ? Non. On ne peut pas dire que je sois en état d'être aimable... et je te prie de m'excuser. Pour l'apparence... et l'état. Tu te rappelles notre première rencontre ? Tu as dû me trouver infecte. Et bien, disons que... là c'est encore pire. Je suis devenue une garce invétérée, sans même m'en être rendue compte. A cause de mon manque de... dépeçage humain ?"
Hebi sourit. Un sourire horrible, cruel et aussi froid que la glace. Elle ne pouvait plus se contrôler. Seul le sommeil à présent la ramènerait à la raison. Le sommeil... ou lui.

Bon, il était vrai que Sidney n'aurait peut-être pas du omettre l'apparence assez .. étrange de la jeune femme. Des yeux blancs, des griffes à la place d'ongles, des crocs qui dépassaient de sa lèvre supérieure. Un peu comme une vampire. Pourtant, l'ex-humaine ne sentait pas la présence d'un de ses compères. Même si elle avait un peu de mal à repérer un vampire quand elle en avait un devant elle, elle avait une sorte de pressentiment étrange. Ici, elle n'avait rien. La jeune femme n'était pas un vampire. C'était autre chose.

Celle-ci prit alors la parole d'une voix qui faisait légèrement froid dans le dos. Elle s'adressait à elle d'une manière si naturelle, alors que ces paroles ne l'étaient pas du tout. Elles étaient même bien plus effrayantes qu'autre chose. Un frisson parcourut le dos de l'ex-humaine, alors qu'elle fixait le nuage noir autour de la jeune fille. Elle déglutit.
Hebi s'adressait à elle et parlait de la première fois où elles s'étaient rencontrer. Effectivement, la jeune fille s'en souvenait, et pour cause, cela datait d'il y avait à peine quelques heures, tout au plus. Elle n'avait pas eu d'opinion précise sur la démone. Elle avait simplement constaté qu'elle était hargneuse envers le professeur d'histoire. Rien de plus. Chacun avait ses petits " démons ", si l'on pouvait parler de la sorte.

A demi dans ses pensées, elle s'adressa pourtant à elle - ou peut-être qu'elle réfléchissait à haute voix - ayant un ton clair, neutre.

" Comment peut-on ne pas se rendre compte de la façon dont on change ? Dont on devient quelqu'un d'autre ? .. "

Puis elle baissa les yeux vers son interlocutrice. Elle enleva l'index qu'elle avait jusqu'auparavant au bord de ses lèvres légèrement rougies. Sa peau était claire. Très claire. Cette pâleur était encore plus visible, encore plus contrasté avec les quelques rayons de soleil qui s'étaient faufilés par les carreaux de la fenêtre. Elle soupira. " Dépeçage humain " hein ? Elle n'aimait pas ce terme. Cela lui rappelait des choses. Bien que les vampires ne " dépeçaient " pas, ils ruinaient la vie de leurs victimes - si, ceci étant, ils n'étaient pas morts. Elle avait permis cela, à son plus grand regret. Elle était comme cela, elle aussi. Alors, cette fois d'une petite voix, elle s'exprima, tout en fixant de ses perles bleues les yeux blancs de son interlocutrice. Sa voix ne tremblait pas. Pourquoi ? ..

" Les humains manquent à beaucoup d'entre nous ici, je suppose. "

Elle soupira. Un sourire cruel, un horrible rictus s'était dessiné sur les traits de la belle brune. Mais à quoi bon avoir peur ? Elle n'était pas tellement menaçante pour le moment. Ce n'était rien d'autre que ses paroles qui l'étaient.

" Quand ce n'est pas l'humain en lui-même qui nous intéresse, c'est ce qu'il possède. Ce dont il est fait. Mais nous sommes tous humains, au fond de nous. Certains l'ont été un jour .. " Elle déglutit. Souvenir. " .. A quoi bon faire le mal autour de nous ? Ce n'est qu'à ce " nous " refoulé que nous nous en prenons. "

Elle détourna le regard.

" Toi, sans doute autant que le reste de la population de ce manoir. Sans doute autant que moi. Nous sommes tous désolants, quelque part. Incapables de refoulés nos envies. " Elle souffla.

Sidney n'eut pas peur.
Elle avait détourné le regard, mais c'était parce qu'elle semblait gênée par ses propres mots. Hebi ne la lâcha pas de yeux tout au long que la jeune vampire parlait. Car c'était une vampire, aucun doute là-dessus. L'odeur ne trompait pas. Un vampire sentait bon. Lui, il sentait bon.

" Comment peut-on ne pas se rendre compte de la façon dont on change ? Dont on devient quelqu'un d'autre ? .. "

Silence. Hebi ne chercha pas à répondre dans l'immédiat. Elle préféra écouter ce que la blondinette avait à dire. Elle sentait que la jeune fille était intéressante. Par son air, et sa tenue. Et bien qu'Hebi ait une envie dévorante de la bouffer, elle ne pouvait s'empêcher d'être intéressée par elle. C'était plus fort qu'elle. Tout, tout de toute manière était plus fort qu'elle.

" Les humains manquent à beaucoup d'entre nous ici, je suppose. "

Soupir. Hebi retint son souffle.

" Quand ce n'est pas l'humain en lui-même qui nous
intéresse, c'est ce qu'il possède. Ce dont il est fait. Mais nous
sommes tous humains, au fond de nous. Certains l'ont été un jour .. A quoi bon faire le mal autour de nous ? Ce n'est qu'à ce " nous " refoulé que nous nous en prenons. "

Les yeux de Sidney étaient fuyants. Très fuyants.

" Toi, sans doute autant que le reste de la
population de ce manoir. Sans doute autant que moi. Nous sommes tous
désolants, quelque part. Incapables de refoulés nos envies. "

Un dernier soupir. Mais que savait cette fille d'elle exactement ? Hebi savait parfaitement qu'elle n'était pas la seule ainsi. Mais ce qu'elle savait au moins. C'était qu'elle était la seule démone qui détèstait tuer ici. Qui l'avait haï depuis sa naissance. Elle aimait et ne supportait pas la vue du sang. Elle aimait ce qui était répugnant, et le détestait. Elle aimait les autres démons, et les évitait. Elle n'était pas une créature de Satan. Jamais elle ne serait un être aussi cruel.

Mais alors, pourquoi ces griffes, pourquoi ces dents, cette Aura, ces yeux ? Elle se transformait, jour après jour. Et son être bienveillant se consumait peu à peu. Mais pourquoi maintenant ? Elle avait tenu tellement de temps sans tuer, sans être mauvaise et méchante, pourquoi tout se déréglait, ici et maintenant ? Pourquoi fallait-il qu'il se passe autant de choses ? Pourquoi personne n'était capable de l'aider ? Pourquoi personne ne venait l'aider d'ailleurs ?
Non, ça, c'était faux. Des gens l'aidaient. Mais... Mais cela suffisait-il ? Il lui aurait peut-être fallu des sentiments plus concrets que l'aide. La famille par exemple. Famille qui l'avait reniée. Des amis. Amis qu'elle n'avait jamais eu. L'amour. Avec un grand A. Celui qu'elle n'avait jamais connu.

"Je vais être franche avec toi. Jamais... Jamais je n'ai désiré tuer... Je n'ai jamais voulu tout cela. J'ai toujours cherché à tuer cette part en moi qui m'obligeait à la cruauté. J'ai cru y arriver... Mais en fait, je crois bien que j'ai échoué..." dit la démone, en reprenant ses esprits. Sa voix se fit plus claire, plus normale. Elle reprit son apparence humaine, peu à peu. Ses yeux se teintèrent à nouveau de noir. Mais l'Aura ne partait pas. Il en faudrait plus que cela.

"Je suis née avec la mort dans le sang. Sidney, je suis pire qu'un vampire tu sais. Jamais je n'ai senti le sang humain couler dans mes veines. Je suis un démon, un vrai. De ceux qui n'ont pas eu à conclure de pacte avec Satan pour devenir ce qu'ils sont."

Devait-elle en dire plus ? La vampire semblait intéressée par ce que disait Hebi. C'était son histoire. Que personne n'avait jamais écoutée. Personne ne faisait attention à elle. Elle n'était qu'un point parmi les points. Juste... Une inconnue qui se promenait dans les couloirs du lycée, et qui se battait avec son professeur d'histoire dans la forêt.

"Les changements qui ont opéré sur moi, ils sont dû à l'Aura. C'est elle qui me transforme. Jamais elle ne s'était manifestée avec autant de puissance. Le directeur m'oblige à la garder la demi-journée. Il est plus puissant que moi. Mais en faisant cela... je retourne à mes racines. Et le démon reprend le dessus sur ce que j'ai toujours désiré être. Quelqu'un de bien..."

Dernière phrase soufflée doucement. Hebi avait mal. Très mal. La dualité en elle ne faisait qu'augmenter à chaque seconde. A cause d'un homme, un seul ! Ses yeux noirs croisèrent ceux de Sidney. Cette vampire, qui semble-t-il l'avait écoutée.

Elle garda les yeux ailleurs, un petit moment. Il y eu un court silence après ce qu'elle venait de dire. Et elle songea qu'elle n'avait jamais été si .. honnête ? Autant envers la jeune fille qu'avec elle-même. Avec ce qu'elle était devenue depuis qu'on s'était gorgé de son sang, pour la première fois. Depuis que son " maître " qui lui était totalement inconnu, n'avait pu retenir ses pulsions et avait plongé sur sa gorge, réduisant à néant ses derniers espoirs de créer sa vie dans l'ignorance, comme tant d'humains sur terre.
Son regard était à présent plus sombre, ou peut-être plus voilé. Empreint d'une douloureuse vérité. Un peu inconsciemment elle avait fait sortir de sa bouche une bien cruelle vérité. Elle souffla encore une fois, et ses yeux se tournèrent vers la jeune démone. Elle avait pris la parole à son tour, sans doute après une certaine réflexion. Dieu seul savait sur quoi.
Elle écouta ses mots. Et au fur et à mesure de ses dires, sa voix semblait s'éclaircir .. Retrouver une certaine humanité. Elle reprenait son apparence humaine. Ses beaux yeux vinrent à nouveau se teinter d'un joli noir profond. Elle semblait plus elle-même.
La vampire lui répondit, comme si c'était une évidence.

" Tu sais, je n'ai jamais souhaité cela, moi non plus. Je menais une vie tranquille, parfaite. J'étais heureuse, je rayonnais. Et sans prévenir, on m'a arraché tout ce que j'avais construit durant toutes ces années. On ne se relève pas facilement de ce genre de chose. "

Aurait-elle du continuer ? Lui dire qu'elle avait perdu tout espoir depuis le moment où on l'avait retrouvé, les vêtements ensanglantés, pleurant comme une enfant la mort de ces gens avec qui elle avait partagé quelques instants, mais plus encore : pleurant la mort de cette vie idyllique qu'elle avait vécue jusqu'à maintenant. Lui dire qu'on lui avait soufflé ces mots terribles au creux de l'oreille. Qu'on lui avait dit que maintenant elle vivrait en ruinant la vie des autres ? Qu'en voulant survivre, il fallait détruire ce que d'autres avaient mis tant d'années à construire. Non. Sa voix n'avait pu s'élever jusqu'ici. Tous ces sentiments, tous ces mots restaient coincés dans le fond de sa gorge, quelque part où personne ne pouvait en avoir conscience. Dissimulé derrière une tonne de bons sentiments. Derrière des sourires.
Oui, elle n'avait jamais rêvé d'une telle vie. Mais le destin en avait décidé ainsi. Elle n'avait pas le choix. Et quand elle l'avait compris, elle avait décidé de se reconstruire, doucement. Ici.

" Pourtant il faut se relever. On ne peut pas se laisser tomber. Dire que ce sera sans doute mieux comme ça. C'est pire que tout. "

La jeune fille parla à son tour de ce qu'elle était réellement. Elle n'avait jamais connu le délice de vivre dans l'ignorance. Innocente. Stupide. Elle avait toujours été une démone. Depuis qu'elle était née. C'était du sang différent qui coulait dans ses veines. Du sang. Dans ses veines. Sujet délicieux quand on parlait à un vampire hein ?
Elle savait également qui elle était, elle-même. Bien que Sidney n'avait pas cherché à le cacher. A le nier. Elle avait même sans doute inciter la jeune fille à le découvrir, facilement, comme lors d'un jeu de devinettes. Elle loin d'être dupe. Elle savait, tout simplement.
Et il y avait tellement de .. souffrance dans sa voix. Une voix douce, celle d'une jeune femme qui était dépassée par ce qui se passait, qui ne voulait pas se trouver dans la situation où elle était. De celle qui n'avait rien demandé à personne, mais que la vie avait cruellement condamné. Elle ne faisait pas que des cadeaux, la vie.

" Justement " Reprit alors la vampire " Tu n'as jamais demandé à être qui tu es. Tu es née comme ça. Pourtant tu rejette ce que tu es. De toute ton âme. Tu fais preuve d'une volonté dont peu de personne pourraient se vanter. C'est une façon admirable de combattre. Quand on sait que tant de personne se laisse aller à leur comportement sauvage. A cet instinct morbide qu'ils ont. "

Pas un mot de plus. Elle voulait entendre la suite. Oui, qui elle était, cela intéressait fortement la blondinette. Hebi, au delà de l'Aura dégageait quelque chose de terriblement intriguant. Une personnalité que Sidney n'avait pas tout de suite remarqué, mais qu'elle pouvait maintenant pleinement repérer. Elle voulait en savoir plus sur son histoire. Sur celle qu'elle était. Sur l'histoire de cette jeune fille, apparemment écorchée vive par une vie qui ne lui avait pas été tendre.

Elle se redressa sur son fauteuil, avant de se lever. Elle s'approcha de la jeune femme. Elle, elle continuait de lui raconter qui elle était et qui elle voulait vraiment être. De tout son cœur.
Sidney se posa sur un des bras du fauteuil de son interlocutrice. Tout près d'elle. Celui-ci portait les traces des griffes maintenant disparues de la jeune démone. Mais elle n'y prêtait pas attention. Comme elle ne faisait plus attention à l'Aura. Elle posa le plus simplement du monde sa main sur son épaule. Avec douceur. Pour ne pas lui faire peur. Juste pour qu'elle sente qu'elle l'écoutait bien.
Sid' ne songea pas que son démon intérieur pouvait reprendre possession de son corps à tout moment et lui affliger le même sort qu'au pauvre bras de fauteuil. Ou peut-être qu'elle ne s'en souciait pas, volontairement.

Alors qu'elle soufflait ses derniers mots, Sidney eu un vague sourire, mais tellement lointain que ce n'était sans doute, réellement, qu'un frémissement de sa lèvre supérieure.

" Avec une telle volonté, tu ne peux que devenir quelqu'un de bien. J'en ai l'intime conviction, Hebi. "

Non, elle ne connaissait quasiment rien de la jeune fille, si ce n'était ce qu'elle venait de lui conter. C'était juste un sentiment qu'elle avait, tout au fond d'elle. Elle en était intimement convaincue. La démone pouvait passer de celle qu'elle était à celle qu'elle voulait être. Peu importe le temps que cela pouvait prendre.
Et puis, pour elle aussi, c'était un peu ainsi, hein ? Celle qu'elle était, ce n'était plus vraiment celle qu'elle désirait être.
Le silence se propagea entre les deux jeunes filles. Quelques secondes. Un silence étrange et apaisant à la fois. Comme une réponse. Mais muette. Qu'elles devaient elles-mêmes interpréter. Ce genre de truc ambiguë qu'on est toujours tout seul à imaginer. Comme si le silence pouvait parler.


Elle n'oublia pourtant pas ce qui clochait dans un coin de sa tête. L'Aura imposée à Hebi par le directeur de l'établissement. Ce n'était pas très net. Cependant, elle s'en soucierait plus tard.

"Tu sais, je n'ai jamais souhaité cela, moi non
plus. Je menais une vie tranquille, parfaite. J'étais heureuse, je
rayonnais. Et sans prévenir, on m'a arraché tout ce que j'avais
construit durant toutes ces années. On ne se relève pas facilement de
ce genre de chose. "

Cela, Hebi le devinait parfaitement. Un humain n'avait jamais bien envie d'être transformé. A part Izumi, la fille de Fushi Metsugo, jamais Hebi n'avait rencontré de vampire volontaire. Un humain aimait vivre et ressentir des choses. Elle en l'occurence, avait dû adorer sa vie. Un malheureux concours de circonstances avait changé sa vie. Et Hebi, bien qu'elle n'ait jamais rencontré ce genre de vie, pouvait concevoir la douleur qu'on éprouvait lorsqu'on perdait tout. La famille, les amis, tout, la vie d'avant, la chaleur de notre peau et de notre corps. Et sa première victime ? Comment une fille qui semblait aussi pure et innocente avait-elle vécu des temps aussi durs ? Elle comprenait enfin qu'il était dur de se relever.

" Pourtant il faut se relever. On ne peut pas se
laisser tomber. Dire que ce sera sans doute mieux comme ça. C'est pire
que tout. "

Mais ce que Sidney ne connaissait pas, c'était le désespoir qu'elle connaissait depuis sa naissance. Tout ce qu'elle haïssait. Elle le vivait chaque jour, depuis des centaines et des centaines d'années. Enfermée dans ce corps de 20 ans qu'elle conservait, jour après jour. Hebi n'avait jamais connu le bonheur. Ce que c'était être vivant.

" Justement, Tu n'as jamais demandé à être qui tu es. Tu es née comme ça. Pourtant
tu rejette ce que tu es. De toute ton âme. Tu fais preuve d'une volonté
dont peu de personne pourraient se vanter. C'est une façon admirable de
combattre. Quand on sait que tant de personne se laisse aller à leur
comportement sauvage. A cet instinct morbide qu'ils ont. "

Mais elle commençait à perdre courage. Depuis l'instant où l'Aura avait cherché à prendre le dessus sur cette gentillesse qu'elle avait tant cherché à instaurer au beau milieu de sa nature.
Son pendentif brilla d'une lueur pâle. Hebi souffrait de ce manque. Mais elle savait qu'il y avait quelqu'un. Mana avait toujours été là pour elle, son pendentif en témoignait. La panthère des neiges était là pour elle, pour l'aider. Qu'aurait fait Hebi si elle n'avait pas été là, si elle n'avait pas recueilli cette petite boule de poil terrifiée dans la neige à demi-morte de froid ? Elle lui avait offert le don de la jeunesse éternelle, et de la parole. Mana la suivrait jusqu'à ce qu'on la tue.

Puis Sidney quitta son fauteuil. Et comble de l'étonnement, elle alla poser une main claire sur l'épaule de la démone. Elle s'assit un peu plus confortablement sur le bras du fauteuil qui était déchiqueté par les griffes de la démone, sans la lâcher. Hebi ne se raidit même pas. Elle n'avait pas peur. Son désir de violence s'était évaporé. Hebi était redevenue saine et calme. Sa tristesse restait présente. Mais plus sa colère.

" Avec une telle volonté, tu ne peux que devenir quelqu'un de bien. J'en ai l'intime conviction, Hebi. "

Hebi baissa la tête. Avait-elle raison ?

"Je ne sais pas Sidney. Je ne l'ai jamais su. Mes efforts n'ont jamais été récompensés. Naître en tant que tueur, c'est comme naître humain en sachant que chaque jour, tu vas tuer. Et à la fin, on te brûlera."

Hebi prit la main de Sidney, et la pressa contre les siennes. Elle actionna sa MI, sentant la magie affluer dans ses veines.
Au-dessus de leurs trois mains, apparut alors le visage d'une panthère des neiges aux yeux bleus azur. Son regard doux se plongea dans celui de Sidney, et elle s'ébourrifa, calmement. On ne voyait que sa tête, au pelage lustré. Elle ouvrit la gueule, comme si elle souriait.
Puis l'illusion disparut. Hebi ne lâcha pas la main de Sidney, mais derrière ses yeux tristes, elle esquissa un sourire.

"Voici Mana. Elle a quelques années de moins que moi. Nous avons traversé les âges ensemble. Vu de la barbarie. Mais jamais failli. Tout ce que je suis devenue c'est grâce à elle, et je suis en train de la décevoir, tout cela à cause d'un autre démon plus puissant que moi-même."

Des larmes envahirent les joues de la démone. Et voilà. Pile ce qu'elle ne voulait pas.
Son caractère jovial était bousillé. Elle, pourtant si avenante ! Si gentille et ouverte, elle ne cherchait qu'à se faire des amis, et voilà qu'elle chialait devant des inconnus. Pourquoi était-elle devenue une épave ? Pourquoi était-elle aussi pitoyable ?

"Tu as eu de la chance. Beaucoup de chance ! Tu as été transformée contre ton gré mais tu as eu une vie. Et même après, tu as su faire face à l'adversité. Mon courage, je ne le dois qu'à Mana. Elle m'a toujours épaulée. Mais elle ne peut pas franchir les portes de ce lycée, et elle reste dehors à m'attendre."

Quitte à tout balancer. Autant le faire jusqu'au bout.

"Je vais faire la pleurnicharde mais qu'importe ! Ma famille est composée de démons. Ma mère m'a rejetée quand elle a su que je ne désirais pas être qui je voulais. Mon jumeau, Aeden, ceui que j'aimais plus que tout m'a crachée au visage. Mon père est un tueur sanguinaire. Jamais je n'ai eu d'autres amis que Mana. Venir ici pour moi, c'était inespéré. Mais on m'a obligé à montrer ma vraie nature, ce que je hais plus que tout !! Et je suis analphabête ! Je n'ai jamais su lire vite ou écrire normalement. Les maths je ne t'en parle pas. Ici j'ai réussi à trouver des gens qui m'apprécient. Mais j'en aime un en particulier, alors que je n'ai aucune chance. Ce genre de relation est interdit. Le seul amour que j'ai éprouvé pour quelqu'un, il n'est pas réciproque, et en plus de cela je risque le renvoi si quelqu'un l'apprend..."


La honte balaya les sens de la démone. Elle eut l'impression d'être allée trop loin avec Sidney. Peut-être n'aurait-elle pas dû se mettre à nu ainsi... Elle rougit, et plongea ses yeux noirs et brillants dans ceux de la blonde. Attendant, guettant une réaction...

La jeune fille avait baissé la tête puis s'était emparée de sa main .. Celle qui était posée sur son épaule, réconfortante. Elle l'avait pris entre les siennes, et l'ombre d'un instant - elle ne put dire si c'était réel ou si ce n'était qu'une illusion - mais elle avait ressenti une sensation un peu étrange, une sorte de frisson intérieur. Quelque chose dans le genre. Puis un frisson dans l'échine. Et là, devant ses yeux et ceux de la démone était apparu une image. Une image tellement mignonne : une panthère des neiges, toute blanche, avec des yeux qui pouvaient facilement faire pâlir de jalousie. Mais le plus impressionnant, c'était peut-être que cette boule de poil adorable plongea réellement son regard dans celui de la vampire. Elle pouvait le sentir sur elle, comme si l'image était réelle, et qu'elle était vraiment toisé du regard par cet adorable félin. Lorsqu'ensuite elle étirait sa gueule dans un semblant de sourire et qu'elle dévoila ses dents, l'image disparu, laissant Sidney impressionnée par ce qu'elle venait de voir. Mais elle n'allait pas tarder à savoir le pourquoi du comment puisqu'Hebi reprit la parole, sous peu, lui expliquant en partie les choses ..

Elle lui expliqua que la panthère qu'elles venaient d'apercevoir au travers de cette image, c'était Mana. Et que c'était elle, qui jusqu'à présent avait été au côté de la démone et qu'elles s'étaient mutuellement soutenues dans les bons comme dans les pires moments. Qu'elle avait toujours été la pour elle, et qu'elle était en train de la décevoir.
Sidney ressentit un pincement au cœur. Décevoir quelqu'un qu'on aime tellement, c'est sans doute la pire des choses qu'il peut arriver .. Ou presque. En tout cas, c'est un sentiment que personne ne souhaiterait un jour ressentir, mais que beaucoup doivent tout de même affronter, tout au long de leur vie. Malheureusement.

La jeune fille laissait couler les larmes sur ses joues, tout au long de son récit. Elle tenait encore faiblement la main de Sidney dans les siennes, mais si faiblement que la blonde aurait sans difficulté pu la retirer. Mais elle ne bougea pas. Elle voulait connaître son histoire. S'abreuver de son récit, de ce qu'elle avait vécu. Savoir ce qui faisait aujourd'hui couler les larmes et saigner le cœur.

Entre temps, elle avait dit que l'ex-humaine, dans son malheur, avait tout de même eu pas mal de chance. Elle le concevait. C'est vrai que son malheur aurait pu être beaucoup plus grand. Elle aurait pu naître vampire, mais aurait-ce été plus douloureux ? Elle n'en était pas convaincue. Peut-être qu'elle aurait tout simplement laissé ses instincts prendre le dessus. Elle n'était pas comme Hebi, elle. Elle se laissait aller, comme le commun des mortels, et de la plupart des races vivants sur cette terre. Les instincts prônaient. Parfois pitoyablement, mais ils le faisaient. Et on se laissait aller. Et de toute façon, on avait pas le choix. C'était une question de survie. Parce que la nourriture humaine ne nourrissait plus. Même en en avalant des quantités terribles, on ne se sentait plus rassasié. On avait toujours faim. Mais d'une faim terrible. D'une faim affreuse. De quelque chose de si désirable. La couleur écarlate. L'éclat du rouge. Le sang. Humain. Voilà ce qui aujourd'hui pouvait rassasié. L'instinct de survie guidait le reste. Parce qu'on ne veut pas se laisser mourir. Qu'on s'accroche à la vie quoi qu'il arrive. Et que, même quand on s'est décroché, on espère toujours qu'un jour, quelqu'un nous tendra une nouvelle perche. Ou qu'alors on va s'en saisir, tout seul, quand on aura compris que c'est comme ça. C'est ce qui était arrivé pour Sidney.
Mais assez. Maintenant c'est des paroles de son interlocutrice qu'elle avait envie de se nourrir.

Et les paroles .. Elles étaient bien dures. La vie n'avait apparemment pas été tendre avec elle. Une famille qui ne l'avait pas vraiment aidé, parce qu'elle n'avait pas voulu être ce pour quoi elle était née. Suivi d'un espoir, une amitié .. Celle avec Mana, qu'elles avaient vu juste avant. Une obligation qu'elle détestait .. Montrer qui elle était. Un handicap. Celui d'être analphabète. Sidney songea d'ailleurs que ce ne devait pas bien être évident pour elle. Comment avait-elle alors écrit une lettre pour accéder à cet établissement ? Peut-être s'était-elle débrouillé autrement. Mais en cours, comment elle faisait, si elle ne savait pratiquement pas lire, et écrire d'une façon très approximative. Encore une fois, cela montrait une détermination hors du commun, que d'être aussi, de vivre en communauté avec d'autres personnes, dont certaines sans doute de la même race qu'elle. Savoir qu'on a des difficultés et les affronter, pour ne pas perdre. Ne pas se laisser " bouffer ". Courage. Et puis, les amours dans tout cela ? Un amour qui n'était apparemment qu'à sens unique et qui n'avait pas lieu d'exister. Parce que c'était un amour mauvais. Un amour défendu. Quelque chose de tabou, d'interdit. Quelque chose qui serait nuisant, ici ?

Hebi daignait enfin tourner les yeux vers elle, et elle rencontra un regard doux. Un petit sourire sur les lèvres, que voulait montrer Sid' ? Qu'elle était compatissante ? Peut-être. En tout cas qu'elle avait attentivement écouté, et qu'elle était touché d'une pareille misère que la jeune fille avait pu vivre. Sa vie à elle, à côté, ce n'était peut-être pas le paradis, mais ce n'était plus l'enfer.
Elles avaient toutes les deux vécues des choses difficiles, peut-être était-ce pour cela que la jeune démone s'était confiée aussi facilement. Elle semblait avoir honte, mais elle ne devait pas. Se confier, c'était souvent plus facile de le faire à des inconnus. Se sentir honteuse de pleurer ? Non, cela ne valait pas la peine. Vu ce qu'elle avait raconté, elle pouvait se permettre quelques larmes. C'était ici l'histoire d'une vie. Les sentiments ressentis, la peine accumulée pendant des années, ici contée dans quelques mots, quelques phrases. Où était le mal ?

" Mana .. " commença-t-elle, un peu incertaine. " .. elle m'a l'air vraiment adorable. "

Elle souffla. Qu'allait-elle dire à présent ? Dans quels mots son interlocutrice pourrait-elle trouver un secours ?

" Tu sais .. Être conscient d'avoir déçu quelqu'un qui nous est proche, c'est une épreuve horrible. On a tellement peur de perdre cette personne. On a tellement l'impression d'être incapable, à la limite de l'inutilité, alors qu'on se dit que cette personne, dans votre vie, elle a tellement fait, elle vous a tellement apporté .. Hein ? "

Elle posait une question qui n'en était pas vraiment une. C'était à son tour de continuer.

" .. Mais le plus beau, c'est ce qui suit. La plus belle chose que tu puisse faire pour Mana, c'est lui prouver .. Lui prouver que tu fais tout ce que tu peux pour qu'elle soit fière de toi. Cela malgré les difficultés qui actuellement semblent insurmontables. Cela même si tu es sous le contrôle d'on-ne-sait quelle force supérieure. Tu n'as pas besoin d'exceller dans ce que tu fais, ou veut faire, Hebi. Tu as juste besoin d'avoir la volonté. Juste besoin de te battre, aussi fort que tu le peux pour les convictions que tu as. C'est tout ce qui importe. "

En fait, elle ne savait pas réellement ce qui importait. Elle ne savait même pas si elle délivrait des bons ou des moins bons conseils. Ce n'étaient que des mots qui découlaient librement de sa gorge, avides d'être entendu des oreilles d'une autre personne qu'elle-même. Des mots qui étaient ressentis, et qui avaient besoin à cet instant, eux aussi, de faire leur place, dans ce monde. Pour un quart de seconde. Juste exister un peu. Tout petit peu.

" Tu as vécu bien des malheurs dans ta vie, mais ces expériences ne doivent que te rendre plus forte. Tu l'as dit toi-même. Etre ici était une chance inespérée. Rencontrer Mana est la plus belle chose qui pouvait t'arriver. " Elle dévia le regard, un court instant. " Ne te focalise pas sur ce qui fait qu'aujourd'hui tu es fragile, mais regarde plutôt ce qui fait que tu as encore assez de force pour affronter la vie, tous les jours qui passent. C'est ce qui est vraiment important. "

Elle replongea un instant son regard dans celui de la jeune fille.

" Du moins, c'est comme ça que j'ai relevé la tête. Que je me suis décidé à vivre pleinement. Malgré ce que je suis. Pour moi. Pour les autres. "

Hebi tenait toujours la main de Sidney. Cette main que la jeune fille n'avait pas retiré. Elle semblait intéressée. Intéressée par ce... ce qu'Hebi racontait ? Personne ne s'était intéressé à elle. Personne d'autre que Mana. Mana, son amie la plus fidèle et la plus sage.
Hebi baissa la tête. Une myriade de sentiments s'emmêlaient en elle. Elle cherchait à tout prix à ressortir du gouffre dans lequel elle avait pénétré. Il fallait qu'elle se relève. Qu'elle fasse face à l'adversité, après tout, Sidney lui avait dit qu'elle en était capable. Et on écoutait souvent plus un inconnu, qu'un ami proche. Tant mieux, puisqu'Hebi n'avait pas d'ami proche.
Puis le regard calme de Sydney se fit plus... compatissant et doux. Elle avait semblé surprise par la vue de Mana. On était toujours un peu étonné de voir la panthère. Parlante, qui plus est. Elle avait le regard un peu fixe, encore impressionné par ce qu'elle venait de voir. Hebi en avait presque souri. Au lieu de cela, elle pleurait.


Mais après les paroles de la démone, c'est Sidney qui avait décidé de discuter. Elle trouvait Mana adorable ? On avait souvent qualifié la panthère de "mignonne" d'"adorable" de "trop chou" bref, des mots qu'on utilisait pour des chiens et chats. Des mots utilisés pour les bébés ou les animaux de compagnie.
Mais Mana était plus que ça. Bien plus. A travers ses yeux de saphir, elle possédait une intelligence rare, et une grande sagesse. Hebi, bien que très âgée, était encore écervelée et dépourvue de savoir. Mana était son exact contraire. Elle réfléchissait toujours avant d'agir, ne se jetait jamais dans les mêlées sans avoir étudié une stratégie avant, raisonnait la démone lorsque tout allait mal. Hebi lui devait beaucoup, vraiment. Et cela, la belle panthère le savait très bien. Mais en échange de ses conseils, elle ne lui demandait rien. Elles étaient liées. Comme un homme et son loup-garou. Elles étaient proches, très proches. Et si ce lien se brisait, l'autre finirait par en mourir sans aide.
Elle ne lui en tint cependant pas rigueur. Sidney ne connaissait pas la portée de l'attachement entre Hebi et Mana. Normal qu'elle fasse des bourdes. A moins que ce ne soit Hebi qui n'ait pas compris ?

En effet. Décevoir la personne qu'on aimait plus que tout représentait une torture intense et terrifiante. Hebi, avant aujourd'hui, n'avait jamais encore ressenti cela. Elle n'avait jamais ressenti la peine qu'on éprouvait lorsqu'on voyait la déception dans le regard d'autrui, l'impression d'avoir échoué dans quelque chose, comme si un étau l'avait prise entre ses mailles avant de serrer, et serrer. Sa froideur blessait la panthère. Hebi rejetait la proximité, cherchait à l'éviter, ne lui parlait plus que froidement, avant de reprendre ses esprits, se lever en pleine nuit, pour sortir du château, rejoindre son amie dans la forêt, et dormir dans son pelage doux, et sentir sa chaleur au milieu de la neige glaciale. Elle faisait cela toutes les nuits. Lorsque l'Aura partait, et qu'elle reprenait ses esprits. Mana, comme disait si bien Sydney, avait beaucoup apporté à Hebi. Elle l'avait soutenue et épaulée. Et décevoir celle qui l'avait tant aimée, c'était s'auto-mutiler.

Comment prouver à Mana qu'Hebi était capable de continuer ? En poursuivant les efforts ? Peut-être. Mais cela elle le faisait depuis des centaines d'années. Le résultat comptait quand même un petit-peu... Non ?
Hebi, en entrant dans le lycée, avait décidé de faire des progrès considérables. Résultat ? Elle était arrivée en retard en français et en histoire. En français, elle avait eu droit à une dissertation sur le café en remerciement, ce qui avait réveillé l'Aura. Elle avait ensuite discuté avec Fushi Metsugo, qui lui avait proposé son aide. Bien entendu, elle avait accepté. Auro Drake, lui, après lui avoir balancé une craie en pleine figure, lui avait donné à faire une chronologie en punition. Super. Et quant à ses relations... elle s'était battue avec Wolfette, et Yami. Elle aimait un vampire, d'un amour qu'elle ne pouvait partager, sentimentalement et également dans les règles. Elle avait eu une discussion avec le directeur qui s'était terminé sur un chantage malfaisant. Et pour finir, elle laissait complètement tomber Mana. Les personnes qu'elle aimait dans ce lycée ? Akira, une petite enfant sortie de nulle part, et Izumi, une nouvelle rencontre, et qui en plus partageait sa chambre. Et Sidney aussi. Depuis peu. Cette jeune vampire respirait la gentillesse, l'intérêt et l'affection. Elle écoutait avec une patience inouïe, et son calme apaisait énormément le coeur brûlant de la démone. Elle voulait lui parler. Encore et encore.

Mais Hebi était-elle assez forte pour combattre l'adversité ? Sidney en était sûre. Hebi beaucoup moins. Est-ce qu'elle était capable de ce combat ? D'apprendre les langues, les maths, tout ? D'être capable de se faire des amis sans avoir envie de les tuer ? De faire face à William Walker ? Pouvait-elle faire cela en vérité ? Pouvait-elle le faire ?
Peut-être. Ou peut-être pas. Mais elle avait besoin d'aide, c'était indéniable. Elle n'y arriverait pas seule. Mais oui, elle montrerait à Mana, aux autres, à Fushi, qu'elle pouvait y arriver.

Elle sourit derrière ses larmes Sidney lui redonnait confiance. Hebi posa la tête contre elle. La vampire avait la peau fraîche. Celle d'Hebi était brûlante. Mais ce contact lui fit un bien fou.

"Merci. Merci pour tout. Mais tout cela, je ne peux plus le faire toute seule. Je sais que Mana sera là. Mais il me faut l'entourage suffisant. Seras-tu là pour m'aider ? Tu sais que je suis prête à t'écouter toi aussi. J'ai toujours été à l'écoute des autres. Maintenant, c'est juste que la douleur et la colère sont les vainqueurs de ma raison. Et c'est pour cela que les amis sont si rares... "

Elle sourit à Sidney, sans la lâcher. Cette étreinte lui faisait du bien. Depuis Aeden, elle n'avait encore serré personne dans ses bras. Ce contact la réconfortait. Elle espérait juste que la vampire ne s'en sentirait pas gênée.

"Tu es une fille bien. Je suis contente de t'avoir rencontrée. Tu as du vivre des épreuves difficiles toi aussi. Ta première victime. Ta première soif. Puis tout cela est devenu une habitude. On essaye de faire face à la tuerie, mais parfois on a pas le choix. Alors, pour ne pas culpabiliser, on se dit qu'après tout, tuer un humain, c'est comme une vache à l'abattoir. On cherche à s'ôter la responsabilité."

Un soupir. Mais elle voulait continuer.

"Puis tu tues, et avant tu vois le regard terrifié de ta victime, son cri de souffrance. Un démon ne tue pas comme un vampire. Moi, je ne fais pas que sucer le sang, je fais pire que cela. Je déchiquète mes victimes alors qu'elles sont encore en vie. Je les entends hurler, puis gargouiller, et j'entends ensuite le silence de la mort tandis que je me nourris. Je vois l'homme qui a peur quand il voit une créature des enfers s'avancer, et tuer. Cela me dégoute. Mais parfois, on y est obligé. Certains aiment cela. D'autres ne le supportent pas. Et toi, qu'est-ce que tu ressens lorsque tu tues ? Combien de temps restes-tu sans boire, avant que ta soif devienne insupportable ?"

Elle écouta le crépitement du feu, et voulut y mettre sa main. Mais elle ne bougea pas. Elle continua à parler. Après tout il était bon d'écouter, de parler aussi. Le dialogue instaurait la paix.

"Nous sommes tous pareils. Nous sommes différents dans nos manières. Mais au fond. Un loup, Un vampire, un démon. Nous tuons tous. Nous portons tous le poids de morts multiples. Mais on se retient. Le plus souvent pour nous, moi pour moi, et pour Mana. Et ceux à qui ça ne dégoûte pas de tuer. La plupart du temps, ils souffrent. J'aimerais ne pas être comme eux. Et toi ? As-tu appris à ne plus souffrir ?"

Il se tramait beaucoup, beaucoup de choses dans la tête des deux jeunes filles. Cette conversation était en train de les faire réfléchir, de mettre leurs neurones et leurs sentiments à rude épreuve. C'était là un moyen un peu camouflé d'expier ses péchés, de calmer ses colères, de confier ses peines.

Sidney, tout au long de la conversation était convaincue d'une chose. D'une seule. Elle avait ressenti cela, quand la jeune fille avait commencé à s'exprimer. Elle en était certaine, la volonté de la démone payerait un jour. Il fallait seulement laisser le temps au temps. On peut bien se permettre cela quand on a une vie bien plus longue que la moyenne des humains, hein ? .. Ironie.

Un pâle sourire s'afficha sur le visage de la jeune démone, après les paroles de Sidney. La blonde espérait qu'elle lui apportait un peu de réconfort. Les larmes, même si elle ne les aimait pas, elle se disait qu'il fallait bien les laisser couler. Qu'il fallait bien qu'elles sortent .. en même temps que le douloureux chagrin qui les faisaient naître. En tout cas, c'est ce qu'elle espérait. Que ces larmes ne couleraient que pour effacer une douleur qui avait demandé à s'exprimer.
Puis, la brune avait posé sa tête contre la vampire. Il était étrange de constater la différence de chaleur entre les deux corps. L'un était brûlant, vif comme le feu. Et l'autre était glacé, froid comme la mort. Peut-être parce que d'un côté, Sid' était déjà un peu morte. Une morte-vivante ? Elle avait eu un frisson. La chaleur soudaine du corps d'Hebi avait provoqué cette réaction. Cependant, l'ex-humaine ne se sentait nullement gênée de ce contact. Elle trouvait même cela réconfortant. Peut-être parce que comme ça, elle avait l'impression qu'effectivement, elle procurait un peu de réconfort à son interlocutrice. Peut-être qu'elle se sentait bien quand elle parlait avec elle. Alors, quelque part, elle était rassurée. Un sourire intérieur en témoigna. Même s'il n'y avait personne pour l'observer.

Les amis étaient rares, certes. Elle, elle avait eu des amis, avant. Avant d'avoir une autre vie, et de perdre l'ancienne. Elle avait même beaucoup d'amis, parce qu'elle était une personne souriante et amicale, qu'on venait toujours aborder facilement. Parce qu'elle aimait mettre un peu d'ambiance quand le silence se faisait trop pesant, et qu'elle aimait faire de nouvelles connaissances. Elle était toujours allée vers les gens. Peu importe qui ils étaient. Elle voulait juste leur parler, en savoir un peu plus sur eux, provoquer un peu de contact. Qu'on sache qu'elle était quelqu'un de bien. Qu'elle se sente bien. La sociabilité, auparavant, elle adorait cela. C'était une de ses grandes qualités ?
Est-ce que cela avait réellement changé ? Pendant un temps, quand elle avait coupé les liens, quand elle avait prétexté qu'elle changeait d'établissement, et qu'elle n'avait plus pu discuter avec ses amis que par quelques appels téléphoniques, là, elle n'avait plus eu aucune sociabilité. Et cela lui avait fait terriblement mal. Mal de savoir qu'elle avait a quitter les siens pour ne plus jamais les revoir, parce que ses instincts étaient très imprévisibles. Mal, parce qu'elle mentait à ceux qu'elle aimait. Et mal, aussi, parce qu'elle avait bien vu qu'au cours du temps, celui-ci marquait clairement son usure et que les contacts se faisaient de moins en moins fréquents.
Mais maintenant ? Maintenant qu'elle était arrivée ici, qu'en était-il vraiment de cette sociabilité ? Seul le temps - encore une fois - pourrait lui dire, lui semblerait-il.

Hebi maintenait la conversation. Elle parlait, et elle lui posait des questions. Elle s'inquiétait visiblement de ce qu'il pourrait advenir. De ce qu'elle ferait dans le futur, et de ce dont elle avait besoin pour réaliser ses objectifs. Elle avait besoin de soutien, d'être entourée. Simplement. C'était la première chose. Alors, si Sidney pouvait lui apporter cette aide, c'était avec joie qu'elle accepterait.

Serait-elle là pour l'aider, alors ? Sidney hocha la tête. Signe positif. Réponse muette. Et un sourire de la part d'Hebi. Sourire qu'elle pouvait sentir, contre elle. Elle lui renvoya son sourire, quand la jeune fille tourna les yeux vers elle. Un petit sourire. Mais un sourire sincère, pas de ceux qu'on lance sans y réfléchir. Tout était mûrement réfléchi. C'était un sourire. Petit, mais vrai.
Elle sentait les mains de la jeune démone sur son bras, comme si quelque part, elle s'y cramponnait. Mais doucement. Sans violence. Juste avec une douceur maladroite qui lui plaisait bien. Oui, ce contact ne lui déplaisait pas. Elle aussi, après tout, ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas tenu quelqu'un près de soi.
Depuis qu'elle était ce qu'elle était aujourd'hui, elle s'était toujours méfié des contacts humains. Car même si elle était douce, elle avait une part d'ombre, celle qui était vouée à l'instinct terrible du buveur de sang. Quand il était réveillé, il était bien dur pour la jeune fille de le retenir. C'était même souvent trop dur. Ne voulant tenter le Diable, et faire des erreurs qu'elle aurait pu éviter, et qu'elle aurait regretté, elle s'était abstenue de tout contact, même avec les membres de sa propre famille. Jusqu'à aujourd'hui.

Et Hebi reprit la parole. Sa voix était douce. Apaisante. La jeune vampire écouta ses mots.
Après, elle prit l'initiative de répondre. Après tout, on lui posait des questions, qui silencieusement demandaient des réponses. Engendraient des réponses. Des réponses que la vampire était donné de divulguer. Ça ne la dérangeait pas. Comme ça, elle aimait parler. Même si c'était parler d'elle.

" Tu sais .. La première soif, la première victime .. Ce sont effectivement des choses horribles. Mais tu sais, les mauvais souvenirs qu'on a, souvent ont tendance à s'atténuer avec le temps. Je les vois toujours comme les choses les plus terrifiantes de ma vie. Parfois, je me demande comment je les voyais avant. Quels étaient mes sentiments, et comment je faisais pour dormir un peu la nuit. Mais je ne trouve pas la réponse. Alors j'arrête de me poser la question. "

Elle soupira.

" Tu sais, quand les vampires s'en prennent à quelqu'un, il y a deux issues. Je n'ai jamais vraiment compris laquelle était la meilleure. L'une, est de vider l'humain de son sang, de le laisser mourir, agoniser, vide de son fluide vital. La seconde, est de prendre juste assez de sang pour se nourrir, quand on a pas grande faim, et alors, il se passe ce qu'il s'est passé pour moi : l'humain devient lui-même l'un des nôtres. Il devient un vampire, un terrible suceur de sang, passant sa vie à détruire celle des autres pour survivre. "

Elle baissa les yeux. Les souvenirs ..

" Tu sais, on m'a mordu, il y a à peine un peu plus d'une année. J'étais dans un camp. Il y avait plein de personnes. J'étais seule. Ma famille était restée en France. Et puis, tout se passait bien, jusqu'à un soir, plus sombre que les autres. J'avais eu un coup de chaleur, alors je suis sortie de ma tente et je suis allée me rafraîchir à la rivière, à deux pas du camp. Et c'est là qu'à eu lieu la transformation. "

Elle fixa Hebi, pourtant, ses yeux ne voyaient que les images d'un passé douloureux. Proche. Trop proche.

" Je n'ai pas compris ce qu'il se passait. Il est arrivé, et je me suis retrouvée au sol. J'étais enfoncée dans la terre par une force colossale. Et puis propulsée contre un arbre. Un chêne. Mon dieu .. Je me souviens de tous les détails .. "

Elle posa sa main - celle qui était encore libre - sur ses lèvres. Horrifiée de ce souvenir si bien de ce calvaire. Ses yeux voyaient et revoyaient ce qu'ils n'auraient jamais souhaité voir, ce soir là.

" Ses yeux brillaient dans le noir. Ils étaient d'un rouge écarlate. Il s'est approché de mon cou. J'ai d'abord cru qu'il allait s'en prendre à moi, que c'était un homme en mal de sensation, et qu'il allait me violer. Mais quand j'ai senti ses crocs dans ma gorge .. Ce fut une douleur ... Une douleur qui n'a même pas de mots. Elle était tellement .. fulgurante ? J'agonisais doucement. Je voulais hurler, mais les cris ne sortaient pas. Il n'y avait que des larmes qui coulaient sur mes joues et qui se mêlaient au sang qui trempait déjà ma chemise. C'était barbare. Plus douloureux que la mort, j'en suis certaine. "

Sa tête devenait lourde. Elle la posa sur sa main libre, appuyée sur l'une de ses cuisses.

" Je me suis évanouie. En me réveillant, il était là. Et je me souviendrais toujours de ce qu'il m'a dit alors .. "

Elle récita ces paroles qu'elle ne pourrait jamais oublier. Qui étaient ancrés dans sa tête jour et nuit. Encore plus quand les envies sanguinaires se faisaient ressentir.

" Ta vie s'arrête ici. Quand tu te réveilleras, tu en commenceras une autre. Tu ne seras plus jamais toi-même. Désormais, tu seras comme nous. Tu seras des nôtres. Vouée à tuer pour survivre. A condamner pour subsister. "

Et un petit sourire anima soudainement son visage. Elle tourna la tête vers Hebi.

" Voilà le deal. Et depuis .. Je vis comme ça. Alors, quand je tues .. Je ressens des sentiments qui me semblent terriblement paradoxaux. Quand je vois ma victime autant te dire que je suis répugnée à l'idée de ce que je vais devoir faire. Et pourtant, dans un coin de ma tête, il y a comme un côté bestial, un peu félin, qui agit sournoisement .. Il échafaude un plan, il coince la victime. Et devant mes yeux ce n'est qu'un innocent apeuré que je vois. Quelqu'un de plus qui est condamné. Mais lorsque je plonge mes crocs dans sa jugulaire .. Hebi, c'est terrible mais .. Je me sens tellement bien. J'en suis répugnée tu sais ? Mais je n'y peux rien. Je sens le liquide qui coule dans ma gorge, je sens le sang sur mes lèvres, je sens mes canines dans sa peau et je pourrais voir dans ses yeux les miens, plus rouges que jamais. "

Elle grimaçait. Un peu honteuse.

" .. Je peux parfois passer quelques jours sans me nourrir. Parfois un peu plus d'une semaine. Tout dépend. Tout dépend de combien je me suis nourri la fois d'avant. En tuant quelqu'un on tient plus longtemps qu'en ne terminant pas ce que l'on commence. Tu sais, c'est désolant à dire, mais c'est comme la nourriture humaine. Plus tu en prends, plus ta sensation de faim sera atténuée longtemps. Et puis .. Quand la soif devient insupportable, je ne suis plus moi-même. Je ne suis alors qu'un corps, voué à suivre des pulsions sanguinaires. Qu'une bête terrible qui sautera au cou du premier venu. Généralement, quand la faim se fait sentir .. Quand elle devient assez forte .. C'est là que je me nourris. Avant que je ne perde tout contrôle. "

Le feu crépitait dans la cheminée, et Sidney n'avait plus, depuis bien longtemps ressentit autant de chaleur. Comment pouvait-elle parler, l'âme tellement en paix alors que le sujet sur lequel elles discutaient était tellement .. macabre ?

" Je crois qu'il n'existe pas, le jour où je ne souffrirai plus de ce que je fais. De comment je vis. J'en souffre encore terriblement. Pourtant, le sentiment s'atténue, lui aussi, peu à peu, comme si l'on commençait à se résoudre devant cette fatalité. On se dit qu'on a pas le choix de toute façon. Mais quand on pense aux victimes ... Non, il est impossible qu'un jour je ne souffre plus de détruire des vies. Et si ce jour existait réellement, c'est que je serais devenu une bête. "

Elle resta quelques seconde immobile, partagée entre le fait de jeter un coup d'œil à Hebi et par celui de regarder danser les flammes. D'oublier ce qui venait de sortir de sa bouche.
Finalement elle se tourna vers son interlocutrice, qui était restée muette, tout au long de son .. monologue ? Elle s'en voulait un peu de s'être livrée comme ça. Ce n'est pas parce qu'Hebi avait dit qu'elle pouvait parler d'elle qu'elle avait du lui exposer sa vie .. Regret.

" Mais désolée de t'avoir raconté tout ça. Mes mots sont horribles, hein ? "

Tuer était bien entendu terrifiant. Dégoutant et horrible. C'est ainsi qu'Hebi ne s'étonna pas en entendant la première réponse de Sidney. La vampire avait eu peur d'elle-même. Lorsqu'on devient un chasseur involontaire, la peur prend la place de la raison, et elle s'enfonce comme une aiguille exsangue au plus profond de notre être. La vampire avait été perturbée par cela, et puis elle avait oublié l'acte en lui-même. Elle avait décidé de stopper la crainte et la culpabilité. C'était légitime. Sinon, elle se serait tirée une balle direct après. Mais lorsqu'on devenait un vampire. Se tirer une balle était inutile. Et on restait dans cette immortalité pesante, enfermé, plongé dans une mer d'acide sans jamais pouvoir mourir...
Mais cette peur, elle ne l'avait jamais oubliée. Ce n'était pas aussi facile, oh non.

Puis la jeune fille lui expliqua quelque peu ce qu'était tuer, pour un vampire. Et là, Hebi n'eut plus le droit de dire que c'était moins pire que la manière de tuer d'un démon. Les deux se valaient, et pour cause. Un vampire avait le choix, et c'était ce qui était le plus horrible. Tuer la victime en la vidant entièrement ? Et donc, la tuer quoi. Ou bien la laisser en vie et la transformer en une bête assoiffée du sang des autres, propageant le virus du vampirisme et de l'horreur ? La meilleure solution ? Il n'y avait pas de meilleure solution. C'était comme choisir entre mourir noyé et mourir pendu. On mourrait de toute manière. Quoique le choix fasse. Une horrible solution, un choix terrible. Et si on avait laissé le choix à la victime ? On ne pouvait pas lui laisser le choix. C'était le tueur qui décidait. Cruelle destinée. Ainsi on se sentait responsable des victimes qu'on avait fait. Une horreur, en somme.
A l'entente de la réponse, donc, Hebi poussa un soupir. Le tribu des Immortels était lourd. Les Anges devaient vraiment bien se porter sérieux. Ils ne tuaient pas eux. Ils combattaient les vilains méchants de la temps d'Hebi, Sidney, Izumi, Auro Drake. Mais ils ne tuaient pas d'humains, eux.

Haha.


Puis l'histoire de sa transformation. Ce qu'Hebi attendait le plus.
Sidney avait été choisie dans un sens. La vie immortelle était-elle un cadeau empoisonné ? Car, si la démone avait bien compris, Sidney avait été la seule à survivre, dans ce fichu camp. Peut-être aurait-elle préféré mourir. Ou pas. Mais Hebi ne sachant pas lire dans les pensées, ne put pas déterminer ce que la vampire aurait préféré. Mais le carpe diem semblait être une bonne méthode de vie pour Sidney, elle ne devait plus se poser la question depuis longtemps.

" Ta vie s'arrête ici. Quand tu te
réveilleras, tu en commenceras une autre. Tu ne seras plus jamais
toi-même. Désormais, tu seras comme nous. Tu seras des nôtres. Vouée à
tuer pour survivre. A condamner pour subsister. "


Hebi connaissait parfaitement cette phrase. Pour n'en avoir prononcé qu'une petite partie. Un vampire disait cette phrase lorsqu'il "sauvait" un humain. Cette phrase était vieille comme la vie. Elle avait été oubliée par les tueurs jeunes. Celui qui avait décidé de condamner Sidney devait donc être un vampire très âgé. Il savait ce qu'il faisait. Peut-être même avait-il minutieusement choisi quelle victime sauver avant de décimer le camp. Il était minutieux, méticuleux. Et atrocement barbare. C'était certainement quelqu'un qui ne reniait pas sa nature.
Lorsqu'Hebi était née, sa mère lui avait enseigné quelle phrase prononcer lorsqu'elle tuait un être humain.
"Ta vie s'arrête ici. De chair tu retournera à la chair brûlant aux Enfers. Ta souffrance sera dérisoire par rapport à celle qui tu vivra chaque jour pendant l'éternité. Créature des Enfers. Je te condamne."
Elle n'avait que très rarement dit cette parole. C'était trop cruel. Elle refusait de perpétuer la malédiction. Et elle avait traversé les âges en s'efforçant d'oublier cette monstruosité. Ou bien étais-ce un vampire qui avait répété cette phrase uniquement pour se foutre un peu plus de la tronche de la victime pour s'amuser... Hebi ne le saurait jamais. Et elle garda ses réflexions pour elle, de peur de se tromper sur toute la ligne.

Hebi et Sidney se ressemblaient cruellement. La vampire penserait-elle que la démone la jugerait, parce qu'elle ressentait du plaisir en tuant ? Bien sûr que non. C'était légitime. Le dégoût, avant de décider de tuer. Puis la frénésie. L'odeur du sang, forte et délicieuse. Le paradoxe du dégoût et du plaisir. Tout cela en cinq minutes seulement. Avant de tuer par obligation, par besoin.
Et le manque, ah, le manque... Hebi connaissait cela mieux que personne. On se sent vide de tout. On n'est plus qu'une épave. Le moindre "ploc !" nous fait sursauter, la moindre petite odeur métallique saliver. On ne pense à rien d'autre qu'au sang, car c'est le sang qui nous fait vivre, survivre. Hebi savait quelle douleur on pouvait s'infliger lorsqu'on avait faim. Lors de son premier sevrage, elle s'était elle-même arraché de la chair sur ses cuisses pour éviter de faire le mal. Mais elle avait ensuite trouvé une meilleure option qui pourrait lui éviter de s'auto-mutiler pour ne pas tuer d'humains.
Les animaux.

Hebi garda le regard fixé sur la jolie blonde, tout au long de son récit. Les similitudes étaient frappantes, les différences aussi.
Et puis la vampire sembla à son tour regretter de s'être livrée. Mais Hebi en avait été heureuse. Enfin, elle avait trouvé quelqu'un avec qui partager son mal. Qui avait une histoire semblable à la sienne. Et ça, ça faisait vraiment du bien. Ainsi, le poids qui avait dévoré son âme était légèrement apaisé, moins lourd à porter. Même si être un démon était un tribu lourd et difficile.

Ses yeux ficèrent le feu tandis qu'elle répondait à Sidney avec un calme déconcertant pour elle-même.

"Non. Tu es comme les autres. Tout le monde aime à tuer. Moi comprise. La frénésie, on l'acquiert tous un jour ou l'autre. Il faut juste savoir comment la supporter, et vivre avec elle, même si notre répugnance envers elle est pire que tout."

Elle passa doucement sa langue sur ses lèvres. Réflèxe. Houps.

"Je ne laisse jamais le choix à mes victimes. Lorsque j'ai faim, je mange. Et je ne fais pas de distinction. Un démon qui tue, c'est effroyable. Visualise ne serais-ce qu'un instant le tableau. Un homme marche dans la forêt russe. Il a perdu son chien, et cherche à le retrouver avant la nuit, car c'est un animal qu'il aime plus que tout au monde, qui l'a accompagné partout. Bref, il scrute les buissons, à l'affut..."

Pause. Fallait-il vraiment continuer ?
Une réponse. Oui.

"Quand soudain, il y a un bruissement près de lui. L'homme a un petit espoir de retrouver son compagnon.
Au lieu de cela, c'est une créature des Enfers qui en jaillit. Une jeune femme mince, aux cheveux noirs, mais cela on ne le voit pas, et pour cause une Aura l'enveloppe, aussi noire qu'une aile de corbeau. Au bout de ses mains, des griffes. Et ses dents, aussi blanche que l'ivoire, des crocs aiguisés dépassant de ses lèvres. Elle est penchée en avant, en position d'attaque. Un grondement s'échappe de sa gorge."

Ses yeux se plongèrent dans ceux de Sidney, qui l'écoutait en silence. Hebi ne parvint pas à déchiffrer son expression.

"L'homme a tellement peur qu'il reste immobile, tétanisé. La créature attaque. Elle se jette sur lui, et plonge ses dents dans sa chair, là où elle peut trouver une prise, et mange. L'homme hurle. Il est encore vivant, mais la démone s'en fiche, elle le mange. Elle prend même un plaisir malsain à entendre ces hurlements. Elle joue avec la chair et la vie de sa victime, elle le fait souffrir jusqu'au dernier instant. Enfin, avant d'entendre son dernier souffle. Elle le maudit."

Elle se redressa. Approcha ses lèvres de l'oreille de Sidney. Puis murmura de sa voix grave mais suave.

"Ta vie s'arrête ici. De chair tu retournera à
la chair brûlant aux Enfers. Ta souffrance sera dérisoire par rapport à
celle qui tu vivra chaque jour pendant l'éternité. Créature des Enfers.
Je te condamne."

Elle se rassit avec calme. Mais sa voix tremblait.

"Et voilà. L'homme est mort. La dernière image du démon qu'il a eu, aura été les restes de cuir du collier de son chien entre les dents du monstre... et la malédiction l'envoie en Enfer. Et il n'en sortira jamais.
J'ai fait ça, Sid'. Je l'ai fait pendant quelque temps, puis j'ai arrêté de maudire. Ton agresseur connait ces phrases. Il a prononcé celle des vampires je suppose... mais je n'y connais rien moi. Je sais juste que la malédiction des démons est celle que je viens de te dire."

Elle replaça son regard sur le feu crépitant.

"Pour me contenir, je tue des animaux. Je tiens plus longtemps comme ça. Mais j'ai souvent besoin de tuer. Tuer un animal ne fait que retarder l'échéance..."

Les lueurs orangées lui donnaient mal à la tête...

"Ma mère était ce qu'on peut appeler un "démon sauvage". Elle vivait dans la forêt et tuait animaux et humains sans faire de différence. Nous avons été élevés de la même manière, Aeden et moi. Mon frère a comblé ses espérances. Pas moi. J'avais un caractère très doux, et contemplatif. Tout m'intéressait. Mais sans pour autant avoir envie d'y manger. Lorsque j'ai adopté Mana, elle a cru a une farce. Mais non. Et c'est là qu'elle a commencé à me rejeter. Jusqu'à ce que je me retrouve seule. A cause de ma nature.
Ne regrette pas ce que tu m'as dit. J'aime quand tu parles, c'est aussi simple que cela. Toi et moi, on se ressemble..."

Hebi se leva. Et s'assit sur le sol, le dos contre les flammes qui caressaient son dos sans rien lui faire. Ses yeux ne quittèrent pas la vampire.

Hebi n'avait pas été dégoutée. Mais l'ex-humaine n'en avait pas réellement été surprise. C'était dur à admettre, mais aussi innocente qu'elle avait l'air, elle avait déjà tué, elle aussi. Parce qu'elle était démone, certes. Mais aussi, parce que, tout comme Sidney, elle en avait besoin si elle voulait survivre. Parce qu'elle tenait à la vie, bien qu'elle n'ai pas été tendre avec elle. Elle ne voulait rien lâcher, et pour cela, pour garder sa propre vie intacte, il fallait avoir la force ou le désespoir d'en condamné d'autres.
Sidney s'était résignée comme ça. D'ailleurs, maintenant, elle en vivait. Parce qu'il faisait un petit moment qu'elle avait compris que même en pleurant toutes les larmes de son corps, il n'en serait pas autrement. Même en s'infligeant toutes les douleurs du monde, rien ne changerait. Même en voulant s'abstenir, les vies ne seraient pas épargner.
Il y avait tellement de gens qui devaient tuer pour vivre, qu'elle se sentait moins fautive. Ce n'est pas comme si elle avait été toute seule. Tous les vampires faisaient de même. Et les démons. D'autres tuaient même pour le plaisir. Ignorant cependant que pour certains qui y étaient obligés, c'était le pire des calvaires.

La démone avait passé sa langue sur ses lèvres. Mais peut-être qu'elle ne s'en était pas même rendu compte. Mauvais réflexe ? Réflexe en tout cas. Dû sans doute à une envie ou une pensée inconsciente, quelque part au fond de sa tête. Revoyait-elle une victime ? Ressentait-elle du plaisir à l'idée de manger ? Sans doute. Sidney elle-même avait ce genre de pensées. Alors pourquoi pas elle ? ..

Et elle conta une histoire. Un homme, un chien. Tableau des plus banals dans une forêt de Russie. Histoire qui l'était un peu moins.
Elle-même dans son enfance s'était promené de nombreuses fois dans ce genre de forêts, dans ce même pays qui était un peu le sien aussi .. De par sa mère. Ses grands-parents maternels y vivaient d'ailleurs. Pour cela qu'elle connaissait plus ou moins les forêts.
Elle déglutit. Et si elle s'était un jour égarée, alors qu'elle était encore petit, trop loin de son frère qui jouait alors avec elle, et que par un terrible concours de circonstances, elle avait été face à l'un de ces démons ? Quelle aurait été sa réaction ? Est-ce que, là, elle aurait réussi à crier ? A alerter quelqu'un du danger qu'elle aurait pu courir. De toute façon il n'aurait servit à rien.
Les dires d'Hebi impressionnaient Sidney par leur clarté, et la facilité qu'on avait à se plonger dans une scène si effrayante. Une jeune fille d'apparence plus ou moins humaine qui se nourrissait de la chair d'un homme encore vivant, crachant ses poumons pour tenter encore une fois vainement de sauver les restes de sa vie ? .. Horriblement horrible. Et terriblement fascinant. Étrangement.

La démone s'était redressé. Sa main avait quitté celle de Sidney. La jeune vampire ne réagit que lorsque son interlocutrice s'approcha tout près de son oreille. Elle entendait clairement, très clairement sa voix dans son oreille. Une voix avec un timbre étrange, quelque chose d'inquiétant. Elle n'aurait cependant su dire de quoi il pouvait s'agir. Toujours était-il qu'aux mots de la démone dans le creux de son oreille, elle avait eu un frisson perceptible. Une sorte de mélange entre un coup de froid et une certaine anxiété inexpliquée. La première phrase. Elle était la même que celle qu'on avait murmuré quand elle n'était qu'à demi-consciente, mais déjà transformée en immortelle buveuse de sang. Et le reste n'en était pas moins glauque. L'Enfer. La vampire songea alors qu'effectivement, pire que la mort, il y avait sans doute toujours cet endroit. Mais n'était-ce pas entrevoir l'Enfer que de tuer pour survivre ? Personne ne pourrait en donner la réponse. Car ce que l'on connaissait de l'Enfer était tellement horrible qu'en ne faisant que l'entendre, même le plus courageux des Hommes viendrait à avoir une peur bleue. L'Enfer était inconcevable. Elle eu un second frisson.

" La phrase des vampires hein ? .. " Murmura-t-elle avait d'avoir un hoquet - mélange de rire et d'un certain .. mépris ? " .. On ne m'a pas prévenu que je devais dire quoi que ce soit lorsque je condamnais quelqu'un. "

Elle était un peu en colère, peut-être. Mais pas contre Hebi. Seulement contre les vampires. Contre elle-même aussi.

" On ne m'a rien dit. Je n'ai jamais su qui m'avait infligé cela. Pourquoi personne ne se présente ? .. Pourquoi personne ne me dit que c'est lui le responsable de ce que je suis maintenant ?! .. "

Elle s'était redressée, mais après ces mots, elle s'affaissa à nouveau, comprenant l'absurdité de la chose. Elle enfonça sa tête dans ses mains, prise au dépourvu par ses propres sentiments.

" .. Non. C'est stupide. Personne ne viendra se présenter et me dire " eh ! Tu te souviens, c'est moi qui t'ai condamné ! Ça faisait un bail ! ". C'est idiot. "

Elle souffla profondément.

" .. Mais ... Je pensais vraiment .. vraiment .. que rien que de savoir qui est le responsable et pour quelle raison il ne m'avait pas tué .. Rien que ce savoir cela, ça m'aiderait à comprendre beaucoup de choses. A en laisser quelques-unes derrière moi. "

La phrase suivante fut prononcée dans un souffle. Hebi était retournée près de la cheminée.

" Accepter. Essayer d'avancer. "

Tuer des animaux ? Si c'était utile pour Hebi, c'était totalement inefficace pour Sidney. La jeune fille avait, bien avant sa transformation, étudié les vampires que l'on disait " végétarien ". Mais elle avait goûté un jour au sang dans animal .. Une biche, ou un chevreuil dans les bois. Elle ne savait plus trop. Les souvenirs de cette journée était floue.
Elle en avait vomi pendant des heures tellement pour elle, le goût de ce sang était infecte. Elle ne pouvait tolérer de s'en rassasier, à son grand regret. C'était des humains, ou la folie furieuse. Dur choix.

" Peut-être bien qu'on se ressemble, oui. "

Elle redressa la tête. Ses mains vinrent agripper son jean au niveau des genoux. Elle serrait de toutes ses forces la matière. Mais elle se crispa rapidement. Elle évita pendant un petit moment de croiser le regard de la démone. Ses yeux voyaient loin .. Bien loin. Quelque part au dessus de la neige qui trainait encore dans le parc du manoir. Quelque part dans les forêts. Sans savoir ce qu'elle pourrait y regarder. Elle essayait de s'imaginer ailleurs, mais cela ne marchait pas. Elle était là, avec ses souvenirs, avec ses sentiments et cela ne changerait pas.
Son seul réconfort étant d'être accompagnée par quelqu'un avec qui elle pouvait partager ses peines. Et quelqu'un qu'elle écoutait en retour.

Fushi se promena dans les couloirs, il faisait encore jour, et le soleil venait à peine de dépasser son zénith. Bien qu'il ne craignait pas la lueur brûlante du soleil, vu que son corps est lui-même composé de l'élément feu, il n'était pas pour autant à l'abri d'une brûlure plutôt aisée sur sa peau. Bien que les flammes hantent son corps, lorsqu'il n'use pas de Et toute personne ayant reçu ne serait-ce qu'une année de cours de physique-chimie sait parfaitement qu'un corps froid voit sa température augmentée par un corps plus chaud que le sien. Le reste, pour ce qui est du bronzage, des brûlures et autres, demande quelques notions plus poussées en sciences.

Il décida de retourner en salle commune. Depuis son arrivée, il y avait mis les pieds une fois seulement, pour les retrouvailles avec sa fille. Bien que cette soirée fût plus tendue que prévu, il avait enregistré un espéce de petit confort dans cette salle. Isolé du reste du pensionnat, il pouvait laisser libre cours à ses pensées, et réfléchir à pas mal de problèmes qui le dérivent du vrai monde. Il se souvenait encore de l'époque où il était humain. Jamais il ne s'était posé autant de questions que sur la vie, sur le peuple qui vit sur cette planète, et surtout sur lui-même. C'est peu de temps après sa mise en exil du temps que tout s'est enclenché. Certes il avait pratiqué la philosophie, mais cela n'avait fait qu'améliorer sa situation... En termes de questions du moins. Il trouvait quelques réponses parfois. Pour cela, il lui suffisait de réfléchir, de noter ses pensées, et de trouver un fil directeur sur sa feuille. Et la salle commune lui paressait un excellent endroit pour une telle tâche.

Il arriva en face de la grande porte en bois sombre, et posa sa main sur la poignée. Il ne l'abaissa pas aussitôt.

*Je connais... Cette énergie. Elle appartient au démon... Si elle est dans cette salle, c'est foutu pour la concentration...*

Il commençait à s'habituer à l'énergie qui enveloppait Hebi. Pas plus tard que ce matin, il l'a entraînée pendant près de deux heures et demie, et cela recommençerait la semaine suivante. Un peu plus dans le passé, il avait combattu à ses côtés, et avait pu gouter à son énergie. En effet, pour calmer l'Aura destructrice du démon, et en avoir le contrôle parfait, ainsi que pour être sûr qu'elle lui obéirait, il avait embrassé le démon. Depuis ce moment précis, il connait cette force, et arrive à la ressentir plus ou moins loin.

Il pressa légèrement la poignée, et une autre énergie se fit sentir. Il n'ouvrit pas la porte dans l'immédiat.

*Elle n'est pas seule... J'ignore si l'autre personne sait que je suis derrière, mais elle possède une espèce d'alerte au travers de son ki. Son énergie a senti que j'allais entrer... Mais moi-même je n'ai pas senti sa présence... Serait-ce une inconnue? Ou une illusion?*

Le professeur se montra hésitant. Il ne savait quoi faire... Peut-être que les deux personnes souhaitaient rester seuls... Ou bien peut-être n'était-ce qu'un simple résidant du pensionnat qui avait décidé de profiter d'un moment de calme lui aussi... Dans le doute, il ouvrit la porte. Si la conversation était importante, il ne souhaitait en entendre aucun morceau. Cela ne le regardait pas. Mais comment entrer tout en étant sûr qu'elle se couperait net?

Fushi réfléchit quelques secondes seulement, et une idée résonna dans ses neurones. Il allait accomplir un acte dont il était certain qu'une personne de cette salle allait réagir. Elle saurait qu'il est derrière la porte, et qu'il allait entrer. Il entrebailla la porte, et d'un geste simple de la main augmenta la puissance de feu présent dans la cheminée. Ce qui surpris la jeune fille, visiblement un vampire vu son odeur, et fit immédiatement tourner la tête d'Hebi en direction de la porte, surprise elle aussi, mais plus par la présence de son professeur que de la magie qu'il venait d'opérer. Ce dernier s'avança lentement dans la salle, le visage impassible, comme à son habitude, le regard froid, et posa d'une voix grave et sèche :

"_ Bonjour mesdemoiselles."

Sidney était restée très stoïque tout au long de son entretien avec Hebi, mais là la jeune vampire devint plus nerveuse, lorsqu'elle écouta l'histoire de la démone. Pensait-elle qu'elle aurait pu vivre cela en tant qu'humaine ? Oui sans doute, devina Hebi en croisant son regard légèrement effrayé. Puis fasciné.
Oui, le sang, Hebi s'en doutait bien. C'était le sang qui fascinait Sidney, comme il fascinait toute créature de la nuit. Hebi avait quelques talents de conteuse qui faisait sa petite fierté personnelle.

Mais chut.

Elle profita de la caresse du feu sans mot dire. Elle parlait. Et Hebi voulait écouter la jeune fille jusqu'au bout.
Elle semblait en colère depuis qu'Hebi lui avait parlé de cette "phrase des vampires". Hebi vit bien que Sidney ignorait tout des phrases ancestrales. Mais c'était normal. Cela datait énormément. Hebi avait même été très surprise de l'entendre.
Autrefois les vampires sélectionnaient leurs victimes. En fonction de leur beauté et de leur odeur humaine. Hebi l'avait lu dans un conte. Cette nouvelle s'était-elle avérée pour Sidney ? Oh oui. La vampire était vraiment une magnifique jeune fille. A l'odeur délicieuse. Les vampires mordaient les jeunes femmes pour en faire leurs compagnes. Mais comme la tradition commençait à fâner, on avait décidé de garder seulement "mordre les jolies filles". Logique. Un vampire était avant tout un homme....

Sa main plongea dans le feu. Sidney était perturbée par la révélation d'Hebi. La démone s'en voulut énormément. Mais continua de fixer la vampire qui à présent avait les yeux dans le vague, tendue et crispée.

Et puis avant qu'elle n'ait eu le temps de répondre, le feu dans la cheminée s'anima avec violence. Cela ne fit aucun mal à Hebi, les flammes glissèrent le long de son dos sans lui faire aucun mal. Au contraire même.
Un frisson parcourut son échine. Seule une personne pouvait ainsi faire agir le feu de la sorte en la présence de la démone...
Et elle ne se trompa pas. L'odeur ne la trompa pas. Elle tourna la tête vivement en direction de la porte.

Bingo.

Que faisait-il ici ? Il n'aimait pas les gens. Alors pourquoi entrer volontairement et faire preuve de sa présence ?
Son pas nonchalant le conduisit près de la cheminée. Hebi leva la tête.
Fushi Metsugo.
Son professeur de français aux yeux émeraudes observa la salle. Sidney sembla surprise de le voir. Elle ne le connassait pas après tout. Hebi, inconsciemment, ferma les yeux. Ce qu'elle faisait à chaque fois qu'Il pénétrait dans une salle ou s'approchait d'elle... la démone rougit. Et pria pour que Sidney ne l'ait pas vue. Elle avait parlé, mentionné ses sentiements pour quelqu'un. Mais elle ne lui avait pas dit qui.

"_ Bonjour mesdemoiselles."

A présent qu'il était parmi elles, Hebi craignait par dessus tout que ça saute aux yeux...
Elle respira longuement pour se calmer.
Haha. C'était peine perdue. L'odeur ne faisait que l'enivrer encore plus.
*Et bien, on ne contrôle plus ses hormones ma jolie ?
Epargne moi tes sarcasmes Blanche... je suis toujours mal en sa présence...
Imagine s'il t'avait vue avec l'Aura. Tu te serais faite engueuler.
Je sais je sais... Bon et maintenant je fais quoi ???
Laisse-moi réfléchir... tu lui dis bonjour dans un premier temps ?
Euh, oui, c'est ça, oui !!!*

Hebi se leva prestement. Trop prestement ?
Bah. Tant pis.
"Re bonjour professeur..."
Puis elle se tourna vers Sid'. Elle sourit avec gêne.
"C'est... monsieur Metsugo, le professeur de français..."
Puis elle surprit le regard inquisiteur du vampire. Et là elle prit peur. D'elle-même. Que faire pour masquer sa gêne ?
Elle prit place sur le fauteuil sur lequel Sid avait été assise en début de conversation. Elle sourit à la vampire non sans observer l'homme du coin de l'oeil.
Puis, pour dissimuler sa rougeur...

"Je suis restée trop près de la cheminée... bon sang, j'ai chaud !!"

Cette haine qu'elle avait éprouvé auparavant venait de totalement se dissiper, remplacée d'abord par la surprise de voir le feu s'animer soudainement dans la cheminée. Elle avait eu un mouvement de recul, tout d'abord. Presque imperceptible, mais bien présent. Et finalement, Hebi n'avait pas même bougé d'un pouce. Elle avait laissé les flammes caresser son dos, comme si c'était là la plus douce des caresses .. Comme si le feu ne brûlait pas. Comme si.

Un homme entra ensuite dans la salle commune. Elle ne l'avait pas senti arriver, mais cela ne l'étonnait qu'à moitié. Elle n'avait pas encore le flair d'un vampire qui était né vampire, ou même de quelqu'un qui serait devenu vampire depuis des années. Elle n'avait pas encore acquis cette .. qualité ?
Mais maintenant qu'il était entré, elle sentait clairement l'odeur .. l'odeur d'un semblable ? Vampire depuis sa naissance, voilà des centaines d'années ? Ou vampire à ses heures perdues, mordu contre son gré par un suceur de sang en quête de nourriture ? Comment le savoir ? Elle ne pouvait pas. Alors elle continua de l'observer, en silence, alors qu'il approchait.
C'était un adulte, à l'air froid et au regard perçant. Il marchait lentement vers les deux jeunes filles, comme si le temps était accroché à ses souliers. Et elles observaient, toutes les deux, en silence. Puis il lança deux mots. Politesse.

Sidney marqua un temps, alors que son interlocutrice avait réagi derechef. Elle s'était levée si brusquement que l'ex-humaine aurait pu en être surprise si elle n'avait pas été concentrée à détailler le personnage qui venait d'arriver. Hebi semblait soudain moins sûre d'elle, et elle parlait d'une voix qu'elle ne lui avait pas connu, lorsqu'elles s'entretenaient toutes les deux. Était-ce l'influence d'une forme d'autorité supérieure qui la mettait mal à l'aise ? Elle ? La démone qui possédait une mystérieuse Aura ? Il fallait se contenter de croire que c'était cela.

La vampire se redressa un peu sur le bras du fauteuil et, sans se lever pour autant, d'une voix détachée, elle adressa quelques mots à l'homme après qu'Hebi lui ai gentillement expliqué qui il était.

" Eh bien .. Bonjour monsieur Metsugo. "

Elle lui adressa un petit sourire. Petit.
L'attitude de la démone l'intriguait fortement. Vu comme elle avait parlé au professeur d'histoire, Sidney trouvait cela curieux qu'elle soit si .. nerveuse ? Devant le professeur de français. Mais enfin. Il y avait des personnes que l'on respectait plus que d'autres, n'est-ce pas ? Certains qui nous plaisaient surement plus. Dont on préférait l'enseignement. Ce devait être cela. Malgré son analphabétisme, elle préférait le cours du professeur de français, que celui du professeur d'histoire. Après tout, bien que froid tous les deux, les deux hommes avaient l'air très différents.
Sid' recommença à le détailler. Elle fut cependant coupée par une Hebi qui s'agita à nouveau, prétextant une chaleur trop forte. Elle adressa un sourire à la jeune fille.

" Quelle idée aussi de te mettre si près de la cheminée. Regarde-toi, tu es toute rouge ! "

Haha. Mélange de gêne et de chaleur ? Qui sait ?

Sidney se tourna à nouveau vers son futur professeur, et se décida cette fois à se présenter. Elle lui tendit la main.

" Je suis Sidney Hughes. "

Et elle ajouta.

" Au plaisir de participer à vos cours. "