Faim. C'est tout. Kamio crevait de faim. Il lui fallait chasser, même si cela lui répugnait de le faire ici, au milieu de toute cette populace grouillante et plus que bruyante. Il voulait de tout son coeur partir de cet endroit où Liam se sentait bien, mais il ne le pouvait pas, car c'était le corps du garçon. Il devait se contenter de ce corps pour se déplacer et chasser, même s'il n'en pouvait plus de le voir heureux, ces temps-ci. Il voulait qu'il souffre un peu... beaucoup, même, si possible. Pendant tout ce temps, il avait joué l'idiot et le mec sympa, mais, maintenant qu'il en avait assez, Kamio voulait à tout prix être lui même. Ce sale pervers méprisant et hautain bouffi d'orgueil et brutal. Comme si un sacré nombre d'années dans le corps d'un gamin naïf et mièvre et une relation amoureuse allaient l'adoucir et le faire changer... pfeuh ! D'où aurait-il envie de changer, d'abord ? Les gens croyaient vraiment au Père Noël et autres sottises...

Il flaira soudain quelque chose et tourna vers une ruelle dans laquelle il s'engouffra. Après plusieurs heures passées au milieu de personnes gesticulantes et d'un brouhaha indicible, il trouva bizarre de se retrouver isolé et dans un endroit plutôt calme.

Mais alors, s'il voulait du calme, pourquoi n'était-il pas allé chasser dans la forêt ? Eh bien, pour la simple raison qu'il ne voulait pas y aller car il n'y avait pas vraiment ce qu'il cherchait. Il voulait du sang humain, pas du sang d'animal. Un autre jour, peut-être, mais pas celui-ci. Le goût de la chair humaine commençait à lui manquer et le bruit de déchirure qui accompagnait chaque arrachage de membre et de peau aussi.

Peut-être un gosse s'était-il perdu, dans ce cas, ce serait sa chance. Tant pis si c'était répugnant ou cruel. La faim était sa seule conseillère, dans cet endroit et en ce moment. Il flaira vaguement une autre odeur par dessus celle de sa proie mais n'y fit pas forcément attention. Rien ne comptait plus, maintenant qu'il avait de quoi manger presque sous la main. Étant dans une ruelle sombre, le soleil commençant à décliner, il ne ressentait pas le besoin de prendre des précautions ou de se mettre à couvert. Ses dents s'allongèrent légèrement tandis que sa langue sortit avec avidité de sa bouche. Ses yeux avaient une lueur de moins en moins humaine et il commençait à marcher sur la pointe des pieds, comme un loup qu'on aurait forcé à se tenir debout, ou encore un faune.

Il s'arrêta soudain, pensant à quelque chose. Ce qu'il pouvait être bête...il avait oublié ses bonnes manières et ses maître-mots : l'hypocrisie et la comédie.
Il se recoiffa, se remit droit et peignit un air de bienveillance feinte sur son visage. Il avait l'air... accueillant et serviable. Deux choses qui, bien sûr, ne lui étaient connues que lorsqu'il le souhaitait. Il se remit à marcher, calme et posé en apparence mais avide et affamé à l'intérieur. Sa vie entière reposait sur ce principe : paraître, jouer la comédie et tout détruire ensuite, petit à petit, sans qu'on le sache vraiment, de façon à ce que cela fasse mal et se ressente. Ça, aucun de ce immondes vers de terre altruistes et gentils ne le comprendra jamais, ou alors ce sera trop tard....

*J'espère que cet humain sera comestible, au moins*

Il continua de marcher droit devant lui, vers sa proie, avec une seule idée en tête : manger. S'il pouvait en profiter pour salir le nom de Liam, cela lui plairait beaucoup. Encore une fois, vu que peu de personnes connaissaient son existence, on penserait que c'était lui, l'auteur de cette... boucherie. Il se promit de faire en sorte que le sang gicle le plus possible et espéra que quelqu'un le voie et le dénonce. Peut-être se ferait-il renvoyer ? Ce serait trop beau mais il fallait au moins essayer. Au pire, il se fait renvoyer, au mieux... il crée une révolte chez les villageois, qui, encore une fois, en auront marre d'avoir autant de problèmes avec les pensionnaires. Oui, comme il y a un temps...

Inconsciemment, il se mit à siffloter. Tant mieux, cela le rendrait plus humain et rassurant. Il aurait juste l'air d'une personne perdue dans une ruelle ou qui explore simplement les lieux.

Il n'aurait jamais imaginé que la ruelle pût être aussi longue et qu'elle fut si sinueuse. Bien, ça confirmait son idée : la personne s'était bel et bien perdue. Il n'y avait que cette solution. Les humains ne savaient faire que ça. Il flaira une légère odeur d'alcool. Peut-être était-ce un alcoolique qui lui servait de proie ? Il
allait tanguer, lui, au retour...
Tant pis, cette personne allait méchamment déguster et ce serait sanglant. Très sanglant.

Dès qu'il arriva en vue d'une forme humaine, il se figea. Ce n'était pas, mais alors pas, du tout ce qu'il s'attendait à voir. Il avait envie de hurler. Son éducation d'enfant pourri-gâté lui avait valu de ne souhaiter que de la qualité et ça... ÇA !
Il masqua sa colère et tenta de se calmer. Un SDF... s'abaisser à manger UN SDF ?!

Auro avait enfin reçus de quoi se renouveler son stock d'alcool. L'enveloppe à peine arrivé, il était sortit en trombe de sa chambre, direction la ville, plus particulièrement tous les endroits où il pouvait acheter de l'alcool. Wolffette était aussi excitée que lui. C'était toujours pareille quand il allait en ville, tandis que Auro faisait les vitrines pour les bouteilles. Wolffette imitait un loup devant une boutique de charcuterie. Les passants étaient évidement les bouts de viandes.

Le voyage en taxis jusqu'à la ville ce déroula sans réelle encombre. Tandis que le paysage défilait derrière la vitre, Auro se mit à réfléchir à ce qu'il pourrait acheter et si il devait garder de l'argent pour le retour ou non. Finalement il décida que non, il se transformerait et reviendrait de lui même jusqu'au château une fois ses emplettes finis

Le taxis le déposa en plein centre-ville. Tout autour de lui les gens vaquaient à leur occupation de dimanche après-midi, lui jetant parfois un regard interloqué à la vue de son accoutrement puis s'éloignant d'un pas un peu plus pressé qu'avant. Drake les ignora et se dirigea vers ses boutiques préférés, celle ou il avait ses petites habitudes et repère. La journée passa rapidement. La plupart des propriétaires s'étonnèrent de le voir débarquer si tôt lui qui arrivait habituellement quelque minutes avant la fermetures, quand la nuit était déjà tombé depuis longtemps. Et à peine remis de leur première stupeur, il était de nouveau surpris par la quantité d'alcool que Drake leur demandait.

Enfin, après avoir fait une vingtaine d'établissement, avoir consulté une centaine de marque différente, marché pendants des heures et supporté une petite centaine de commentaire de la part de la louve. Drake s'estima satisfait. La nuit était déjà tombé et les rues commençaient à se faire déserte. Il bifurqua dans une petite ruelle et continua tranquillement son chemin. Les bouteilles faisaient un bruit attirant et agréable en tintant les unes contre le autres à chacun de se pas. Drake n'y résista pas longtemps.

- Tu pourra ramener le corps une fois que tu aura finit ? C'était plus un ordre déguiser en question, mais la louve ne refusait jamais un instant de liberté. Sa réponse fut presque immédiate.

- Compte sur moi. Mais j'avoue ne pas comprendre pourquoi tu aurai besoin que je te ramène ? Tu a oublié le chemin ?

Drake ne répondit pas et sortit une de ses bouteilles. Il ne pouvait plus résister. Il avait finit sa flasque ce matin et, même si il savait que les visions ne se manifestaient que rarement dans les endroits éclairés et animés, la nuit était tombée et il pouvait presque entendre les bruits de pas derrière lui. D'un rapide geste il déboucha le récipient et renifla l'odeur aromatisé qui s'en dégageait. Avec un extrême délicatesse, il savoura les premières gorgées du liquide ambré qui coula dans sa gorge et qui réchauffa ses entrailles. Il entendis bien un vague alcoolique de la part de la louve, qui s'ennuyait ferme maintenant que la ville était déserte, mais l'ignora et s'affala dans un coin de la ruelle pour finir la première bouteille. Au fur et à mesure qu'il les enchainaient, il sentit l'impression d'oppression disparaître pour laisser place à un agréable sentiment de liberté et de félicité. Tout lui paraissait si loin, si léger. Il se releva en titubant et commença à déambuler au hasard des ruelles. Se tenant aux murs pour éviter de tomber. Ce qui ne fut pas suffisant. Mais Auro ne se découragea pas. Il se releva, toujours aussi titubant et entreprit le chemin en sens inverse. Malheureusement l'allégresse des premiers instants fut vite dépassé. Et il se retrouva de nouveau affalé contre un mur. Cherchant d'une main une nouvelle bouteille pour assouvir sa soif. Le temps passait, il faisait maintenant nuit noir et les cadavres s'accumulaient. Finalement Auro s'arrêta de boire, contempla le ciel, le regard vide, à moitié conscient de son environnement. Comme toujours lorsqu'il était plein Wolffette c'était tue.

Il ne savait pas combien de temps c'était écoulé depuis qu'il avait commencé à boire quand, soudain un pensé traversé son esprit, fracassant l'illusion de calme.

Un SDF... s'abaisser à manger UN SDF ?!

La phrase se mit à rebondir lentement dans le cerveau d'Auro. Un SDF ? Ou y'avait-il un SDF ? Et puis qui aurait essayé de manger un ... un SDF ? Soudain la connections entre les deux neurones a peu près sobre de Drake se fit. On le traitait de SDF ? Et en plus on voulait le tuer ?

L'alcool quitta le cerveau de Auro à une vitesse stupéfiante et il se releva prestement. En temps normal il aurait laissé cette remarque passer sur lui comme de l'eau. Mais pas là, il avait assez d'alcool dans le sang pour remplir une piscine olympique. Il chercha des yeux l'auteur de la remarque. Ce dernier se trouvait à l'entrée de la ruelle. Il ressemblait fortement à un japonais et sa tenue était celle d'un adolescent banal. Il sembla même à Drake qu'il l'avait déjà croisé au lycée. Un élève peut-êtres ? Pendant quelque seconde Auro se demanda si la pensée venait réellement du garçon. Mais aucun doute n'était possible, ils étaient seuls. Dans sa tête Wolffette se manifesta, preuve qu'il commençait à décuver.

- Il nous veut quoi le boutonneux ?

- Nous manger ...

Au lieu de rire comme Wolffette l'aurait ordinairement fait, elle laissa planer un lourd silence. Après quelque seconde, elle lâcha enfin.

- Tu est encore trop bourré pour te rendre compte que c'est un garou, non ?